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LA SOCIÉTÉ ANGLO-HINDOUE.

assez grandes pour contenir un homme, et qui jouent un rôle si important dans les fictions de l’Asie. » Tout correspond à cette échelle immense. On trouve dans les Recherches Asiatiques de 1671 une description curieuse des chasses dont le nawaub ou nabab du Bengale Kossim-Ali-Khan se donnait le plaisir. Vingt mille hommes et un escadron de cavalerie légère le suivaient alors. On choisissait un espace de terrain comprenant plusieurs lieues, et situé entre le Gange et les collines qui servent de limite à la province. Les chasseurs, les uns à pied, les autres en palanquin ou montés sur des chevaux, des éléphans et des chameaux, armés d’épées, de lances, de sabres, de mousquetons, et accompagnés de chiens, de faucons et de tchitahs, formaient un cercle énorme qui, se rétrécissant par degrés, forçait dans leurs domaines antiques tigres, hyènes, léopards, sangliers, daims et alligators. Les faucons prenaient l’essor, les lévriers s’élançaient ; les daims tombaient sous la dent des chiens, les sangliers sous l’épieu des piétons, les tigres, poursuivis par les éléphans, sous la balle de l’audacieux qui les affrontait. « Parmi les plus hardis, on reconnaissait, dit la relation, le nawaub lui-même, tantôt dans un palanquin découvert, porté par huit hommes, et entouré d’un arsenal tout entier, bouclier, épée, sabre, pistolets, fusil, arc et flèches, tantôt à cheval, ou, si les buissons l’empêchaient d’avancer, reprenant sa place et son trône sur l’éléphant favori. Le carnage était incroyable, et lorsque le cercle, à force de se rétrécir, ramenait les combattans au point central ; ils se trouvaient arrêtés par la pyramide de cadavres tombés sous leurs coups, montagne de cinquante ou soixante pieds toute formée d’animaux tués et sanglans. »

L’utile frappe médiocrement ces esprits ; c’est la grandeur qui les dompte et leur impose. Les Anglais, en se contentant des profits de la conquête sans en affecter la toute-puissance, se sont condamnés à combattre perpétuellement pour défendre et consolider leurs acquisitions. Dans un pays et sous un climat où tout est expansion et déploiement de force, ce qui n’est pas extérieur compte pour rien ; le son, le bruit, l’éclat, le rayon, la lumière, la flamme, sont les symboles et les symboles uniques auxquels se reconnaisse la puissance. Cette race ne la voit pas ailleurs, et elle ne peut ni estimer ce qui est humble ni aimer ce qui se cache ou se modère. Ils préfèrent un énorme canon qui tue ses artilleurs à un bon fusil qui tue l’ennemi. On conserve à Bedjapore une pièce d’artillerie de dimension extraordinaire, et qui ne manque jamais, lorsqu’on l’emploie dans les occasions solennelles, de détruire une partie de la ville par le seul