rard lorsqu’il aborde Catarina semblaient annoncer une intention mélodieuse. Par malheur, comme il arrive trop souvent avec M. Halévy, l’intention avorte presque aussitôt, et vous retombez après quelques mesures de clarté dans les ténèbres d’une déclamation aride et tumultueuse qui se prolonge jusqu’à la fin, et se conclut, toujours à la manière du quatrième acte des Huguenots, par un de ces adieux déchirans que la voix de Duprez lance avec une si puissante et si dramatique expression, avec cette seule différence qu’ici la voix de soprano, au lieu de rester muette, comme dans l’opéra de Meyerbeer, se joint au ténor et l’appuie vaillamment à l’unisson. Les couplets que chante M. Massol au début du troisième acte ont tout juste pour eux ce grain de trivialité indispensable à tout morceau qui prétend à devenir populaire. Aussi, chaque soir les applaudissemens éclatent sur les dernières mesures de ces couplets, et le parterre ne se lasse pas de les entendre. J’imagine que M. Halévy ne se sera pas donné grand’peine pour inventer ce beau chef-d’œuvre ; il aura lu deux fois le rhythme des paroles, et la musique lui sera venue tout naturellement et sans autre effort.
Du reste, le compositeur doit des actions de grace à M. Massol, qui se charge si complaisamment d’en exagérer l’expression. Ces couplets seraient le goût et la distinction même, que le ton méridional, presque grivois, que le chanteur leur donne, en ferait avant peu un air de carrefour ; et c’est là ce redoutable Mocenigo, ce patricien superbe que nous avons vu tout à l’heure, vêtu de rouge comme un cardinal, entrer sur un motif âpre et lugubre dans la chambre de Catarina, et l’arracher à ses amours pour la plus grande gloire de la république de Venise ; c’est ce membre terrible du conseil des dix qui vient maintenant en costume de Flibertigibet débiter dans un casino de pareilles folies En vérité, nous nous étonnerions d’un oubli semblable des convenances dramatiques, s’il n’y avait là-dessous toute une histoire. Dans le principe, ces couplets étaient destinés à l’un de ces spadassins qui reçoivent mission d’assassiner Gérard à son arrivée à Nicosie. Or, il se trouva qu’aux répétitions M. Wartel, de temps immémorial en possession à l’Opéra de tous les rôles de spadassins, de bandits, de bravi, de héros de mauvaise mine, les disait de telle façon, que le musicien se vit contraint, à son grand regret, de les lui enlever pour en augmenter la partie de M. Massol, qui, s’il ne les chante guère mieux, leur donne du moins sans arrière-pensée le caractère trivial qui leur est propre, au risque de compromettre singulièrement celui du noble personnage qu’il représente dans le reste de la pièce, un peu à la manière du maître Jacques de l’Avare, qui change de ton et de langage selon qu’il endosse sa souquenille ou la dépouille. Le duo entre Lusignan et Gérard obtient et mérite à bien juste titre tous les honneurs de la partition. Ce n’est encore là cependant qu’un simple cantabile, qu’une phrase de romance comme en pourrait inventer Mlle Puget. Mais Il y a tant de noblesse dans ce cantabile ! il y a dans cette phrase de romance tant d’expression, de sentiment et de pathétique ! On voit que le célèbre adagio de la Favorite a tenté M. Halévy ; cette phrase dont nous parlons, sans rappeler le moins du monde la mélodie de M. Donizetti,