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ment comme tout honnête finale où les affaires s’embrouillent, où le héros tire l’épée et demande d’où lui vient son outrage ; c’est du reste tout ce qu’on en peut dire. Il y a pourtant, vers le milieu de cet acte, un air charmant accompagné de harpes, et que chantent les voix pendant le ballet. M. Halévy s’est peut-être servi trop souvent, dans la Reine de Chypre, de cette manière introduite jadis par Rossini et dont on a tant abusé depuis, de mêler ensemble les chœurs et la danse. Au troisième acte, la même intention se reproduit, mais ici du moins elle a le mérite de la nouveauté, et le motif est plein de grâce et d’élégance. Le chant des gondoliers qu’on entend au lever du rideau, au second acte, passe déjà pour le diamant de la partition. On ne saurait en effet rien imaginer de plus frais, de plus vaporeux, d’une plus limpide et plus transparente mélodie. Cette fois, M. Halévy a trouvé, et son joyau vaut de l’or : Catarina rêveuse est assise à son balcon, la tête penchée vers les lagunes où les gondoliers voguent en chantant. Il y a dans cette scène d’alcôve, dans ce clair de lune, dans ces mélodieuses bouffées qui semblent s’exhaler des flots et vous arrivent comme trempées d’un parfum de l’Adriatique, une de ces sensations complètes, un de ces contentemens enchanteurs qu’on ne trouve qu’à l’Opéra, quand le triple hasard du spectacle, de la situation et de la musique aboutit à souhait pour le plaisir des yeux et des oreilles. Involontairement on se prend à penser au troisième acte d’Otello. Là aussi la brise du soir apporte la voix du gondolier à la mélancolique fille de Venise qui pleure à son balcon. Est-ce vous, Desdemone ? Est-ce vous, la Malibran ? Illusions, fantômes, qui s’évanouissent aussitôt pour faire place à Mme Stoltz, à M. Massol, que sais-je ? à M. Bouché. N’importe ! on a rêvé, on s’est souvenu, un instant romantique vient de se passer dont on ne saurait trop rendre grace aux auteurs, au poète surtout qui le premier en a donné le motif. L’air de Catarina ne manque pas d’expression ; la phrase : Mon Dieu, soyez béni, a de la tristesse et du charme. En général, M. Halévy excelle à rendre les demi-teintes mystérieuses, crépusculaires, si l’on nous passe l’expression, du genre de celle qui règne dans ce morceau et dans cet acte. L’intelligence qu’il a des plus minutieuses ressources de l’orchestre, son art singulier de traiter les instrumens à vent, sa manière tout adroite de ménager les sourdines, l’aident merveilleusement en ces occasions. Je citerai comme un autre exemple l’air de la harpe éolienne de l’Éclair, où se trouve un effet de la même nature. — Quant au duo par lequel cet acte se termine, c’est un morceau manqué. Il faut dire aussi que le musicien avait affaire à rude partie. Il ne s’agissait de rien moins que de la fameuse situation du quatrième acte des Huguenots, situation dangereuse et terrible s’il en fut, et qui ne se traite pas deux fois. Qu’est-ce, en effet, que cette Catarina cherchant à repousser Gérard de son alcôve où vingt poignards l’attendent pour le frapper, sinon la Valentine de l’opéra de Meyerbeer ? Des deux côtés, les passions sont aux prises, des deux côtés la femme a seule conscience du péril et cherche à sauver son amant, celle-ci en lui disant : Je vous aime, restez ; celle-là : Je ne vous aime plus, partez. Les premières notes que chante Gé-