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toire. Angra fut jadis célèbre par la résistance qu’elle opposa en 1583 à la domination espagnole, et Villa-da-Praia a été illustrée en 1829 par la courageuse défense du comte de Villaflor. Le nom français est associé aux deux époques de la gloire des Acores ; le comte de Brissac conduisit dans ces îles six mille hommes, qui long-temps résistèrent aux armées de Philippe II, et cinq cents de ces Français cantonnés à Terceire, s’y maintinrent pendant plus d’une année. Dans les derniers temps, un bataillon de nos compatriotes, d’un nombre à peu près égal, est venu se joindre à l’expédition de don Pedro et a pris une part efficace à son succès. C’est ainsi qu’à deux siècles de distance se relie dans ce lieu écarté la chaîne des services honorables que la France a rendus à la liberté portugaise. Aujourd’hui Villa-da-Praya n’est plus qu’une ruine ; un affreux tremblement de terre l’a, cette année même, détruite de fond en comble. Angra a perdu son unique attrait. Les cortès ont abaissé les barrières des cloîtres, et les nonnes de Saint-Gonsalve se sont dispersées. Bien peu des cinquante-quatre couvens qui existaient dans ces îles lors de mon séjour en 1832, renferment encore leurs habitans ; cependant deux choses si différentes l’une de l’autre, qu’on ose à peine les nommer ensemble, sont nécessaires à la physionomie des Acores, les monastères et les fontaines. Des aqueducs construits avec art conduisent l’eau dans les plus petits villages ; sur le bord des routes, et même dans les lieux écartés, on découvre des abreuvoirs et des fontaines entretenus soigneusement et parés avec amour. Ce culte des eaux a une façon d’hospitalité arabe et rappelle l’origine des mœurs de ce peuple si chrétien, tandis que les hautes murailles des couvens et les églises élevées sont l’expression frappante des sentimens qui dominent ces natures africaines.

Que dirai-je des trois petites îles dont je n’ai pas encore parlé, sinon qu’à Sainte-Marie il y a beaucoup de perdrix rouges et de superbes tortues ? Un vieux capitaine d’infanterie qui en est gouverneur, et les douze hommes de garnison s’y plaisent fort. L’honnête capitaine peut, grâce au curé, au juge et à un habitant de l’île, satisfaire toutes ses passions, qui sont le wisth et la chasse.

Florès et Corvo ont par leur position plus d’importance que Sainte-Marie. Situées à l’extrémité nord-ouest des Acores, elles servent de point de reconnaissance aux navires qui reviennent des Antilles. Le voyageur fatigué par la splendeur monotone de l’Océan voit en elles l’espérance de son arrivée prochaine en Europe ; il les admire et les bénit ; car de tous les plaisirs du voyage, le plus doux est toujours celui du retour.


Jules de Lasteyrie.