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devait les retenir, elles respectent celui de leur passion. Elles ne peuvent connaître ni la vie, ni les actions, ni les sentimens de celui auquel elles s’abandonnent, et sont bien malheureuses. Retenues prisonnières dans le cloître, l’ame vagabonde et toujours pressées par une foi ardente, il ne leur reste bientôt que l’amertume et l’humiliation de la douleur. Saint-Gonsalve m’a laissé un souvenir plus triste que sévère, et je n’en aurais pas parlé sans la célébrité que ce couvent doit aux mémoires de M. de Ségur.

Le territoire de Terceire est presque partout inculte. Au nord comme à l’ouest, la mer bat les flancs décharnés des hautes montagnes. Le centre est également montueux et stérile ; ces lieux sont d’un aspect morne et sauvage ; sur les hauteurs, des buissons épineux et de larges fougères recouvrent à peine des pierres volcaniques noirâtres et poreuses, et, dans le creux des vallons, la mousse jaunie qui remplit le lit des torrens desséchés, attriste encore les regards. Une nuée de petits oiseaux au plumage brillant et varié distrait seule des sombres préoccupations, ils s’envolent sous chacun de vos pas et tourbillonnent autour de vous. Comme notre ame vibre au gré des émotions diverses que crée la vue de la nature ! tout ce qui rappelle seulement un souvenir prend à nos yeux une teinte poétique. Un jour, après avoir marché au milieu d’un dédale de murs de pierres sèches, j’arrivai près d’un gros village, dégoûté d’une route fastidieuse ; mais, à dix minutes de distance, était une fontaine qu’ombrageaient quelques grands arbres. Les filles du village allaient et venaient, portant sur la tête des vases remplis d’eau ; elles posaient légèrement leurs pieds nus sur le roc luisant. Ces femmes furent pour moi un tableau vivant des traditions de la Bible ; le plus petit brin d’herbe, une jolie fleur, un peu de fraîcheur, le charme eût été rompu.

Les habitans de Terceire ne ressemblent pas à ceux des autres îles, qui sont doux et communicatifs ; tout étranger, et par étranger j’entends le Portugais qui n’est pas né à Terceire, est pour eux un ennemi. Ils fixent sans cesse sur vous des regards inquiets et soupçonneux. Quand on leur parle, ils semblent croire qu’on veut les piller ou les outrager ; ce n’est pas sans raison : le gouvernement portugais ne paie ses innombrables employés qu’en tolérant leurs exactions, et c’est un douloureux privilége pour Terceire d’être le centre de l’administration des Açores. Une garnison oisive, à l’abri de tout contrôle, pèse cruellement sur ce peuple misérable, et le torture de plus d’une façon. Si Saint-Gonsalve est, dans l’île, le rendez-vous de la fine fleur de la galanterie, une corruption plus grossière menace les chaumières, elle