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les courans sont rapides, et les vaisseaux atteints par la tempête dans cet étroit passage, où s’engouffre le vent, ne peuvent nulle part rencontrer un refuge.

Ce canal si resserré, ces rochers à pic, cette montagne couverte de neiges, rappellent le lac des Quatre-Cantons, la merveille de la Suisse ; mais quelle différence dans la couleur de l’eau, la teinte du ciel et la magnificence de la végétation ! Cette superbe nature porte l’empreinte des rayons d’un soleil tropical.

Peu à peu l’île du Pic, dont la forme est elliptique, s’éloigne de Saint-George. Bientôt on dépasse l’extrémité de celle-ci ; on aperçoit alors Gracieuse, qui, toute petite et parfaitement ronde, sort de la mer comme une corbeille de fleurs, et l’on a devant soi Terceire, avec ses rochers nus et ses montagnes nuageuses.

Terceire, chef-lieu du gouvernement des Açores, fut découverte la troisième de ces îles, comme l’indique son nom. Elle n’a ni la population de Saint-Michel, ni l’étendue du Pic ; elle n’est pas fertile comme Saint-George et ne possède pas, ainsi que Fayal, une rade hospitalière. En lui refusant ses dons précieux, la nature a rendu Terceire plus célèbre qu’aucune des îles qui l’entourent. Dernier boulevard de l’indépendance de la nation portugaise, elle vient d’être le berceau de sa liberté. Mais cette gloire appartient aux écueils de Terceire, non à ses habitans grossiers. L’île entière est une forteresse inaccessible ; nulle part les vaisseaux ne s’en approchent sans danger, et sur deux points seulement les barques peuvent atteindre le rivage ; jamais elles n’y trouvent un abri.

Le mont Saint-Sébastien couvre au sud la baie d’Angra ; il forme à l’extrémité d’une petite presqu’île un promontoire élevé ; sur le penchant de la montagne, entre les roches et les broussailles, ressort une vieille forteresse dont les canons défendent l’entrée de la rade. Du côté opposé s’avance une falaise escarpée, et, à cent brasses de la côte, un îlot qui, de loin, se confond avec le rivage, surgit à une grande hauteur et fait le pendant du mont Saint-Sébastien. La capitale, Angra, est au fond de cet entonnoir, ouvert au vent du sud-est ; comprimé par les flancs des montagnes, ce vent parcourt la baie avec une violence toujours croissante, et atteint une puissance irrésistible. On le nomme le Charpentier, à cause de la promptitude avec laquelle il renverse les mâts et brise les agrès des navires.

Une petite jetée vermoulue sert de débarcadère. Les vagues s’élancent avec force sur les marches rompues et verdâtres, et c’est à grand’peine qu’on atteint le rivage. On passe ensuite sous une porte