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plus commune. La ressemblance des manières dans toutes les classes est ce qui frappe avant tout un étranger. Les dames de la meilleure compagnie jetteront leur manteau sur l’épaule de la même façon qu’une paysanne. Bien qu’un peu plus raffinée, leur conversation sera la même. Elles ont les mêmes plaisirs, la même poésie, et leur cœur vibre sous l’impulsion de sentimens analogues.

On est accoutumé en France à exiger beaucoup des personnes qui se vouent à Dieu ; on les isole complètement du monde, et notre indifférence ne permet pas un seul instant de relâche à leur ascétisme. Ce fut donc avec surprise que je vis toutes les pieuses nonnes de Punta del Gada, ainsi que de jeunes filles folâtres, accourir à leurs fenêtres grillées, se pressant les unes les autres, pour voir passer les soldats, et suivre ensuite, à l’aide d’une longue vue, la manœuvre des troupes. Un spectacle bizarre est celui de ces religieuses, les jours de grandes fêtes, accompagnant les chants de l’église avec des instrumens à vent, soufflant à l’envi dans des cors d’harmonie, des clarinettes, des cornets à piston, des ophicléides et autres instrumens nullement féminins. Dans la ferveur de leur enthousiasme, elles font un vacarme épouvantable. Les poitrines sont haletantes, les joues pourpres et gonflées, la sueur découle de tous les fronts. Sans le prêtre qui est à l’autel, on croirait plutôt assister à une fête païenne qu’à l’office du Seigneur.

En somme, le climat de Saint-Michel est délicieux, cette île est très fertile et extrêmement pittoresque : il ne lui manque que d’avoir un port. La rade de Punta del Gada est complètement ouverte, et les navires restent quelquefois deux mois sans pouvoir communiquer avec la terre. Lorsque soufflent les vents du sud, de l’ouest et de l’est, ils sont forcés d’appareiller pour n’être pas jetés sur les rochers de la côte ; ils laissent alors filer leurs câbles, et gagnent à grand’peine la haute mer. Suivons-les et partons pour Fayal.

L’île de Fayal forme un large croissant au fond duquel est posée la petite ville d’Horta. Les rues parallèles à la mer s’élèvent successivement avec les espaliers de grenadiers sur la pente d’une colline escarpée. Les maisons et les fleurs forment un gracieux ensemble, d’où l’on peut admirer à l’aise la splendeur du tableau qui se déroule devant les yeux. En face est l’île du Pic ; son extrémité pénètre dans la baie de Fayal, et elle l’ombrage de sa cime majestueuse. Au pied de la montagne, près de la mer, croissent les orangers et les plantes des tropiques ; à mesure que le terrain s’élève, on distingue l’olivier, la vigne ; puis, les arbres du nord de l’Europe ; enfin les neiges