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SOUVENIRS DES AÇORES.

une autre, et l’ignorance des subtilités de l’esprit ne la rend pas plus grossière ; au moins s’adresse-t-elle à l’imagination, qui est la droite route du cœur. Derrière les obstacles matériels où elle est retranchée, la jeune fille se montre agaçante et hardie, sans cesser d’être modeste, et peut impunément sourire au jeune homme qui lui jette une rose en passant et lui souhaite le bonheur. Dans les pays chauds, l’habitude de vivre en plein air rend très sociable ; on cause avec tous ceux qu’on rencontre ; la rue devient un salon, et cette galanterie répandue dans toute l’atmosphère ne paraît qu’un délicat hommage offert à la beauté. Après tout, ces fantaisies du cœur jouent le rôle de la conversation chez nous, et comme elle, pas plus qu’elle, sont tantôt innocentes et tantôt criminelles. Quelquefois elles conduisent à de sérieuses passions ; souvent elles servent des intrigues. D’ordinaire cette coquetterie à vue est sans conséquence ; elle n’atteint pas la pureté des sentimens des femmes, et peut durer des années entières, sans que de part et d’autre on y attache la moindre importance. C’est que, si l’oisiveté des hommes et la stérilité de leur esprit les portent là plus qu’ailleurs à la galanterie, ils sont peut-être moins qu’en d’autres pays capables de passion. Les longues factions sous une fenêtre, et la mince faveur d’y être souffert, emploient le temps et suffisent à la vanité. Le pire est que les manières des hommes s’imprègnent d’une coquetterie toute féminine, et l’on voit dans les rues de jeunes fats minaudant avec l’affectation puérile des jolies femmes surannées. Ces galans, les jambes raides et piquées sur les étriers, le corps serré et la tête penchée en arrière, font agréablement caracoler leurs rosses, et dirigent sur tous les balcons des regards plus supplians que téméraires. Ils passent ainsi innocemment la matinée à distribuer leurs œillades languissantes, et n’ont certes aucune des allures des héros de Lope de Vega. Le Midi est le pays des contrastes ; on y rencontre de tout. La valeur la plus téméraire brille à côté de la dernière lâcheté ; le dévouement chevaleresque apparaît au milieu du grossier égoïsme. Peut-être quelques ames sont-elles encore susceptibles d’éprouver des passions fortes et exclusives, mais il ne faut pas généraliser ces très rares exceptions, pas plus que donner aux grandes dames, qui ne se montrent jamais aux fenêtres, des façons de grisettes. Deux choses seulement sont vraies : toutes les femmes ont une tournure d’esprit romanesque ; presque toutes aussi ont une grace naturelle, une dignité dans le port et un langage du cœur, qui rendent possible à un homme distingué d’éprouver un attachement sérieux et délicat pour une femme de la condition la