Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 29.djvu/13

Cette page a été validée par deux contributeurs.
9
LA SOCIÉTÉ ANGLO-HINDOUE.

merciaux qui l’occupent. Les notes de l’évêque anglican et celles de la jeune fille nous seront surtout utiles : l’ingénuité charitable de l’apôtre, et les impressions vives de miss Roberts, les ont garantis contre l’affectation, l’emphase, la manie descriptive et l’exagération sentimentale. Nous ne croyons pas avec le bon évêque Héber que les Hindous puissent être convertis de si tôt à la foi chrétienne, protestante ou catholique. Nous ne pensons pas non plus avec miss Roberts que les Hindous soient une race déshéritée de poésie ; les faits que l’un et l’autre nous transmettent ont plus de valeur que leurs jugemens.

Miss Emma Roberts, femme d’esprit assurément, reproche aux Hindous de manquer de poésie, de sensibilité pour les arts et de goût pour la beauté. Elle se trompe. La poésie, c’est leur vie même ; ils la rédigent peu, mais ils la goûtent. Ils ne l’écrivent guère ; ils en vivent. L’Occident ou le Nord trouvent des paroles qui imitent la poésie et simulent l’enthousiasme. Nous avons le reflet ; ils ont le corps. Chez eux, la poésie a pénétré dans la dernière intimité et les plus profondes racines de l’existence. Ils la respirent, la boivent, la savourent ; ils s’en nourrissent et ils en meurent. Leur superstition n’est qu’une poésie réalisée. Leur prédestination n’est que la transformation du monde en un poème épique immense. Dès qu’on se plonge sérieusement dans ces mœurs infinies, on est comme perdu et accablé de ces fidélités sans borne, de ces grandeurs sans terme, de cette puissance, de cette fécondité, qui signalent à la fois la vie physique et la vie morale ; vertus sans limites, crimes sans fond, le luxe partout, l’ordre stérile nulle part ; la poésie roulant dans les veines même du peuple et ne faisant plus de livres.

Souvent et vainement les philosophes ont essayé d’expliquer la religion des Hindous. Ils ont tiré leurs explications de fort loin. Environnés de toutes les forces de la nature et témoins de l’expansion de ces forces, expansion qui tient du prodige, les indigènes de la péninsule leur ont voué un culte. Cette admiration de la vie, cette idolâtrie de ce qui est, cette adoration ineffable n’a rien qui doive étonner dans un pays où le spectacle de la vie est à lui seul une merveille qui confond. Nos proportions d’Europe font pitié, si vous les comparez à cette exubérance, à cette perpétuité de la reproduction, à ce luxe éternel de l’existence. Je ne vois, dans les temps modernes, qu’un écrivain qui ait paru comprendre ce mystère, et qui l’ait rapporté à ses causes. Cet écrivain est Robert Southey, auteur du Curse of Kehama (malédiction de Kehama). Il a senti que l’on ne