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d’hommes et de mœurs entassées par les siècles, les germes de la nouvelle fécondité. Elle est barbare aux yeux des Hindous ; elle joue pour eux le rôle que jouaient pour nos pères les Hérules et les Alains ; elle n’accomplit pas sa mission rénovatrice par le glaive, le pillage et la violence, mais par l’énergie prévoyante de la politique occidentale et la rapacité légale du négoce. Si les lois générales de l’histoire sont identiques, les procédés spéciaux des époques diffèrent et contrastent. On trouve encore ici une civilisation épuisée, mais très vieille, qui se régénère par l’infusion d’une civilisation plus jeune et plus forte, d’ailleurs déprédatrice, avide et sans scrupule. Encore un cadavre qui reçoit l’étincelle de vie après avoir subi la dissolution de ses élémens, encore une supériorité morale et une domination intellectuelle qui ravivent un monde éteint et abîmé. On peut étudier ce mouvement nouveau de l’Inde anglaise dans les ouvrages que j’ai cités plus haut, mais surtout dans les Scènes Orientales du major Moor, l’excellent Journal de l’évêque Héber, et les Scènes Hindoustaniques de miss Emma Roberts. Ce militaire, cet ecclésiastique et cette jeune fille ont vu et observé l’Hindoustan d’une façon très diverse. Tous trois sont de bonne foi : Reginald Héber, écrivain distingué ; le major, narrateur inhabile et impétueux, mais qui intéresse ; miss Roberts, analyste assez piquante, qui détaille bien ce qu’elle décrit. Le sillon bizarre tracé par les Anglais au sein des mœurs et des idées hindoustaniques apparaît avec vivacité dans les observations de ces trois personnes. Ajoutons-y la gravité et l’importance des documens que renferment l’ouvrage trop peu connu du comte Bjœrnstierna et l’essai de l’éloquent et spirituel Macaulay sur le revenu de l’Inde anglaise, ainsi que les diverses histoires de l’Inde qui viennent de paraître à Londres et à Paris, les Biographies récentes de Clive et de Warren Hastings, ouvrages peu concentrés et peu substantiels, mais curieux, et enfin les ouvrages périodiques consacrés aux matières orientales, et qui paraissent à Londres ou à Calcutta. Tous ces documens fourniront à la philosophie politique, à celle qui s’embarrasse peu du jour, beaucoup du lendemain, peu des querelles byzantines et des logomachies, beaucoup de la civilisation humaine, les données les plus intéressantes sur la destinée réservée à ce grand pays, dont la vétusté fait la jeunesse. Sans reproduire ici des colonnes de chiffres, sans copier ces cinquante ou soixante volumes médiocrement écrits, sans les analyser avec cette rigidité pédantesque qui passe pour sérieuse et qui est frivole, nous en extrairons ce qui nous importe, les faits et les révélations sur l’avenir de l’Inde et des conquérans com-