Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 29.djvu/119

Cette page a été validée par deux contributeurs.
115
HORACE.

sans cruauté, sans déclamation. Là nous avons trouvé tous nos proverbes ; là nous avons rencontré, écrit quinze cents ans à l’avance, le siècle entier de Louis XIV. À cette école d’une philosophie indulgente, Boileau s’est formé, Voltaire a pris la bonhomie et l’imprévu de sa poésie légère, — la bonhomie de Voltaire ! le mot est écrit, et je ne le retire pas ; — en un mot, toute la conversation des peuples policés, des nations élégantes, des cours oisives, cet art exquis de tout dire, ces formules vives et nettes, cette familiarité choisie qui fait de tout homme d’esprit l’égal des plus grands seigneurs, où donc les avez-vous trouvés pour la première fois ? dans les épîtres d’Horace et nulle autre part.

Quelle poésie en effet, cette poésie qui a produit l’épître aux Pisons, — c’est-à-dire l’Art poétique ! — Dans la pensée d’Horace, c’était là une épître de plus tout simplement. La postérité en a fait un traité complet d’art et de goût, de poésie et d’élégance. Lucius Pison était un ami d’Horace ; dans cette noble maison se réunissaient les amis de Mécène, qui ne pouvait plus les recevoir. C’était une espèce d’hôtel de Rambouillet, où se débattait chaque soir l’art d’écrire : les deux fils de Pison faisaient eux-mêmes d’assez jolis vers, si jolis qu’Horace leur persuade de n’en plus faire : c’est si triste un mauvais poète ! et c’est si difficile à faire, un beau poème ! Et en preuve, Horace développe, à la façon du génie, les règles de ce grand art. Jamais l’illustre poète, qui touchait à sa fin, n’a écrit rien de plus net, de plus vif, de plus complet. Il parle de la poésie comme un homme qui est plein de son sujet ; il ouvre la route à l’Art poétique de Boileau ; il unit ainsi par un lien indestructible ces deux grands siècles littéraires, le siècle d’Auguste et le siècle de Louis XIV.

Peu après ce dernier effort du poète, Horace eut la douleur de perdre son protecteur, son ami, Mécène. Fidèle jusqu’à la fin à cette amitié si tendre et si dévouée, Mécène avait écrit dans son testament à l’empereur Auguste : Souvenez-vous d’Horace comme de moi-même ; Horatii Flacci ut mei esto memor. Soins inutiles ! Horace l’avait promis dans un moment d’enthousiasme, il ne devait pas survivre à Mécène. Horace s’estima heureux de tenir cette parole lyrique. L’ennui le prit quand il se vit seul dans cette ville qui pleurait Mécène, et il se laissa mourir à l’âge de cinquante-sept ans, non pas sans avoir institué l’empereur son légataire universel. L’empereur accepta ce testament d’un homme qui avait été, sans le savoir, un des plus utiles instrumens de sa puissance ; il ordonna de magnifiques obsèques pour le poète qui l’avait tant chanté, et, comme l’avait dit