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épître, l’épître était difficile à écrire, car cette fois il s’agissait en même temps d’être grave sans être pédant, d’être malin sans être cruel. En effet, de quoi donc parler à Auguste pour ne pas lui déplaire et pour ne faire de mal à personne ? Allons, nous lui parlerons des arts et de la littérature ; nous lui dirons que ce peuple romain, qui aime tant son maître et qui se connaît si bien en grands hommes, ne se connaît pas si fort en beaux esprits et en beaux livres. « Votre peuple, seigneur, a pris en belle passion les plus vieux poètes et les plus vieux prosateurs d’autrefois. Il s’en tient à la loi des douze Tables, au livre des Pontifes, aux antiques volumes de prophétie dictés par les Muses elles-mêmes sur le mont Albin. Pour eux, le mont Albin, c’est le Parnasse ; la nymphe Égérie est une Muse ; ils mesurent les poètes au nombre des années. » Ainsi, Horace se plaint, au nom de tous ses contemporains et de lui-même. Il demande à Auguste pourquoi donc son peuple romain a si grand’peur des poètes contemporains. « Ce n’est pas, dit-il, qu’à tout prendre nous ne soyons inondés de trop de vers ; tout le monde fait des vers aujourd’hui, le médecin, le forgeron, l’ignorant, le savant ; moi-même, en me levant, je demande mes tablettes… quel ridicule travers ! Et pourtant c’est une si belle chose, la poésie ! » — « Vous avez aimé Virgile, seigneur ; vous avez aimé Varius. Ah ! si ma poésie répondait à mon courage, vous verriez ma muse prendre son essor, » et tout le reste de cette pièce admirable, qui commence comme une épître, qui finit comme une ode… un modèle que Boileau a gâté en l’imitant.

Nous ne ferons pas l’éloge des épîtres ; c’est la partie la plus populaire de cette œuvre poétique. Toute la morale antique, la plus sage et la plus honnête philosophie, sont contenues dans cette espèce de satire adressée à des absens. Le poète s’y retrouve sans cesse à côté de l’orateur, à côté du philosophe, à côté de l’homme du monde. C’est une comédie vivante, où les vices et les ridicules sont poursuivis avec la plus excellente bonne grace et la meilleure bonne foi. Aimables pages, écrites avec un abandon si heureux, avec un enjouement si aimable, où les mœurs, la littérature, la philosophie, l’élégance, les anecdotes, les petits faits de chaque jour sont consignés avec une grace parfaite. C’est là surtout que la malice est naïve, que la vérité est sans art, que la philosophie est sans faste, que l’ornement est naturel ; c’est là surtout que vous retrouvez l’atticisme, et la grace athénienne ; point d’emphase, point de mensonge, point de flatterie ; le poète lui-même s’y montre avec modération ; les pensées, les maximes, les lois du monde nouveau, s’y produisent