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HORACE.

et de solitude, qu’il demandait la permission de passer quelques longs mois de chaque année dans sa maison de Sabine. En même temps il suppliait l’empereur d’accepter avec bienveillance le recueil de ses œuvres : « Mon aimable débauché, mon joli petit homme, disait l’empereur, Dyonisius m’a remis votre petit volume ; c’est vraiment un livre de votre taille. Mais pourquoi donc vos livres n’ont-ils pas un ventre comme vous en avez un ? » Ainsi parlait, ainsi plaisantait le maître du monde, un peu brutalement, comme on voit. Toutefois ce qu’Auguste aimait le mieux dans les œuvres d’Horace, ce n’étaient pas les odes à la louange d’Auguste, les odes à la louange de Tibère et de Drusus ; ce n’étaient même pas les satires, quoique leur ton familier plût beaucoup à l’empereur : c’étaient les épîtres, ces simples discours en vers dans lesquels le poète a développé, avec la familiarité la plus aimable, les plus faciles préceptes de la vie : code charmant de la vie élégante, heureuse, telle que l’avait faite un nouveau règne. Eh ! que parlions-nous tout à l’heure de l’ancienne république et des vieilles mœurs, de Brutus et de Cassius ? Il s’agissait bien de cela, sur ma parole ! Depuis trente années déjà, la république était morte, la dernière génération des vieux Romains avait été emportée dans la tempête. C’en était fait à tout jamais de la Rome de Brutus et de Caton ; il ne s’agissait plus que de la Rome des Césars.

Laissons donc son importance politique à l’ode romaine ; elle a joué un grand rôle dans l’apaisement des esprits, elle a popularisé le règne nouveau, elle a absous l’empereur Auguste de toutes les violences et de tous les crimes d’Octave. Horace a porté l’ode à son plus haut degré de perfection et de puissance. Il lui a donné tous les tons, il lui a fait parler tous les langages, il lui a fait célébrer la gloire des armes et le bonheur de la paix, la vieille république et la monarchie nouvelle, Brutus et l’empereur Auguste, Régulus et la courtisane Neera, le vin et la liberté, les lauriers d’Actium et les roses de Pæstum. Horace a fait de l’ode une tribune, il en a fait une histoire, il en a fait une chanson bachique et un billet d’amour. Depuis lui, vous savez ce que l’ode est devenue : elle est devenue une déclamation (ut declamatio fias), comme dit Juvénal.

Dans la lettre de l’empereur que nous citions tout à l’heure, l’empereur Auguste se plaignait à son poète de n’avoir pas eu de place dans les épîtres. Il avait bien compris qu’Horace n’avait pas osé encore se permettre tant de liberté ; mais enfin, puisque le maître le voulait absolument, il fallait obéir. — L’empereur eut donc son