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même l’éloge de l’empereur. Dans cette partie toute politique de la poésie d’Horace, vous pouvez suivre à la trace les succès d’Auguste, le roi de son adoption. C’est là encore une face nouvelle dans l’histoire de ce grand poète. Célébrer à la fois le présent et le passé de la ville éternelle, accoupler dans ses vers Octave et Brutus ! Je sais des gens, mais ceux-là ne savent pas un mot de cette adorable langue latine, qui n’ont point pardonné à l’ami de Mécène cette transformation inattendue. Ceux-là, laissons-les dire ; ils font partie de ces faux stoïciens dont parle Horace dans ses satires. Sans nul doute, quand bien même l’ami de Mécène se serait abstenu de prendre sa part dans cette soumission universelle, Horace serait resté jusqu’à la fin le poète honoré et respecté que vous avez vu tout à l’heure. Il n’avait pas besoin d’entonner ces louanges pour faire sa fortune ou pour la maintenir. Ces louanges, il les a faites sans condition, comme un homme qui obéit à un enthousiasme unanime ; non pas qu’Horace fût, comme on l’a dit, un républicain de la vieille roche, non pas qu’il eût un grand dévouement aux doctrines parricides de Brutus, mais il était avant tout un honnête homme ; il savait que même le scepticisme doit avoir sa fidélité et son dévouement. Pour louer Octave, il avait attendu qu’Octave César s’appelât Auguste empereur ; il avait attendu que Marc-Antoine, ce grand soldat, ce fragile et dernier espoir de la république expirée, eût perdu sa gloire et plus que sa gloire, son honneur, dans les bras impudiques de Cléopâtre ; il avait attendu surtout que les plaies des guerres civiles, que les crimes affreux du triumvirat eussent été rachetés, à force de clémence et de repentir ; et quand, enfin, la cause de la liberté fut perdue, quand l’armée même eut été domptée, quand la paix universelle jeta enfin son sourire d’amour et de bienveillance sur le monde romain, que la paix seule pouvait sauver un instant, alors Horace se crut en droit d’aimer l’empereur et de le chanter dans ses vers. L’empereur de son côté, l’empereur, qui se connaissait en louanges, accepta avec empressement les louanges d’Horace. Virgile, il est vrai, lui convenait davantage ; il se faisait moins de bruit autour de la personne de Virgile. Aussi l’empereur attendit la mort de Virgile pour s’attacher plus particulièrement à Horace, il voulait en faire son secrétaire intime : « Il faut, disait-il à Mécène, il faut m’amener notre ami Horace ; il écrira mes lettres, maintenant que je suis vieux et infirme. » Eh bien ! voilà certes ce qui peut s’appeler de la philosophie et de la sagesse : le poète refusa tant d’honneur. Lui aussi il répondit qu’il était vieux, qu’il était malade, qu’il avait besoin de repos