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dans une métairie ; Horace se lave les yeux, Mécène s’en va jouer à la paume, Virgile se met au lit. Le doux Virgile était un homme qui aimait ses aises ; il a été le plus heureux homme de son siècle ; il ne s’est inquiété qu’une seule fois dans sa vie, lorsque son patrimoine lui fut arraché par violence. C’était un bonhomme, qui n’aimait que lui-même et qui faisait de l’égoïsme à lui tout seul. Mais, juste ciel ! avec ce grand génie-là on pouvait être même un méchant homme ! Ainsi, dans tout ce voyage à Brindes, c’est à peine si vous allez au pas. C’est un voyage sans agrément, où l’on est trop heureux de rencontrer parfois de l’eau fraîche. Cependant nos citadins se moquent à plaisir de tout ce qu’ils voient en leur chemin ; ils se moquent du préfet de Fundies, ils se moquent des auberges et des aubergistes, ils se moquent des bateliers, des muletiers. Ils rencontrent des bouffons sur leur passage, un nommé Sarmentus, et Metius Cicirrhus, qui se disent toutes sortes d’injures, peu plaisantes selon nous. Le soir venu, ils s’estimaient fort heureux de trouver un peu d’huile, un peu de vin, un lit dur, voire même, faut-il le dire ? un peu de complaisance dans la servante du cabaret. Quoi donc ! l’ami de Mécène, le favori impérial, l’ardent et heureux amoureux de tant de beautés souveraines, le poète du beau monde, voilà qu’il en est réduit à attendre et à attendre vainement une servante d’auberge ! C’est à peine si le rêve licencieux de la nuit le vient consoler de cette amère déception.

De tout ce récit, moitié sérieux, moitié grotesque, vous tirerez comme nous cette conclusion, qu’il est en effet très étonnant qu’un grand seigneur comme Mécène, qu’un épicurien comme Horace, qu’un admirable égoïste comme Virgile, aient voyagé d’une façon si misérable. Où était donc la fortune, où était donc le respect qui devaient entourer nécessairement des hommes si haut placés dans la confiance et dans l’intimité de l’empereur ?

Maintenant que nous avons expliqué de notre mieux quelle amitié s’était établie entre Horace et Mécène, nous devons présenter l’un à l’autre le poète Horace et l’empereur Auguste. — L’empereur, à la prière de Mécène et un peu aussi à la prière de Pollion, avait plus d’une fois témoigné de la bienveillance pour Horace, mais cette bienveillance était mêlée d’une crainte qui se comprend facilement. En effet, il s’agissait d’un poète satirique, d’un ami de Brutus, d’un esprit indépendant, toutes choses dont le maître du monde avait peur. Une fois qu’il était dans sa maison, Auguste redevenait le plus simple des hommes, et cela lui déplaisait fort de faire sans fin et sans cesse le