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HORACE.

à Brindes. Au premier abord, le Voyage à Brindes est une pièce de vers facilement écrite, mais terre à terre et toute remplie de singuliers détails. Cependant, quand vous saurez au juste quel fut le motif, quel fut le but, quels furent les compagnons et les circonstances de ce voyage, vous verrez soudain cette narration sans art, on peut le dire, et d’une brutalité dont on ne trouverait pas un second exemple dans l’œuvre entière d’Horace, prendre à vos yeux un intérêt presque solennel.

Lorsque Mécène se rendit à Brindes ou plutôt à Tarente, il allait, au nom d’Octave César, pour s’opposer à une vaine et dernière tentative d’Antoine contre l’Italie. C’était donc là un voyage important, et de ce voyage dépendaient de graves intérêts. Cependant Mécène ne voulut pas aller seul à Tarente ; il proposa à ses amis de venir avec lui. Ces amis-là, c’étaient Héliodore, sans contredit le plus savant des Grecs, Græcorum longe doctissimus, Horace, Virgile, Varius. Horace et Héliodore partirent par une belle matinée de printemps (Varius et Virgile étaient partis les premiers), et ils firent cinq petites lieues le premier jour. Il leur fallut deux fois vingt-quatre heures pour aller de la ville d’Aricie au marché d’Appius (sept lieues par jour), et le troisième soir ils auraient assez bien soupé, si l’eau eût été bonne à boire. Au lieu de se coucher dans une très mauvaise hôtellerie, nos voyageurs prennent un bateau tiré par des mules, lequel bateau devait ressembler, ou je me trompe fort, à feu le coche d’Auxerre. Ce malheureux véhicule fut envahi tout d’abord par plus de trois cents voyageurs que les bateliers s’arrachaient. Ils s’entassent donc tant bien que mal dans un de ces bateaux. La mule est attelée, on part, on va au pas. Tout d’un coup la machine s’arrête. Les voyageurs se sont endormis, dévorés par les cousins du rivage ; on dort ainsi pendant trois ou quatre heures. Cependant le soleil se lève dans sa gloire italienne. Nos voyageurs se frottent les yeux. Ô surprise ! le bateau ne marche pas depuis long-temps, il est attaché à un arbre du rivage ; la mule déjeune dans un pré voisin, le batelier ronfle comme un sourd. Horace, quelque peu colère, coupe une branche de saule et tombe à grands coups de bâton sur le dormeur. Enfin, à dix heures du matin, ils avaient fait près de quatre grandes lieues. Mais notre ami Horace n’en pouvait plus ; ses yeux étaient enflés et tout rouges. Cependant on parcourt la ville ; on trouve à souper à grand’peine. Le lendemain, — jour heureux ! — voici Varius, Plautus et Virgile, beaux esprits, nobles cœurs, qui viennent au-devant de leur ami le poète. On fait halte