Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 29.djvu/112

Cette page a été validée par deux contributeurs.
108
REVUE DES DEUX MONDES.

son petit dîner chez lui ; il avait invité quelques amis et Lydie elle-même, Lydie qui s’était mise à jouer du luth quand elle n’eut plus rien à faire dire à ses beaux yeux, si bien que le perfide ami avait abandonné Mécène à son triste sort. Prudent Horace ! Mais aussi, quand il a bien dîné, et quand Lydie eut chanté l’ode nouvelle, Horace s’en va chez son ami Fundanius pour savoir des nouvelles de Mécène et du repas de Rufus. — Ah ! mon ami, s’écrie Fundanius, que tu as eu bon nez de ne pas venir ! Quel repas ! — En même temps il lui fait la description de cette fête burlesque. On était trois sur chaque lit ; Mécène était assis entre un vil bouffon et Nomentanus le parasite. « Il y avait là, entre autres victimes intéressantes, Varius, Viscus Umbrius, Porcius, nos amis, qui faisaient la moue que c’était à mourir de rire. » — Arrive ensuite toute la description de cet odieux festin : des plats manqués, des vins aigres, de l’eau chaude, des tables de grossier bois d’érable, des esclaves mal vêtus et puans ; — quand tout à coup le baldaquin de la table vient à tomber avec fracas sur les mets, sur les convives, et les malheureux de s’enfuir, comme si on leur eût dit que Canidie était à leurs trousses ! — Eh bien ! dit l’empereur à Mécène, comment s’est passée la fête ? Ton ami Horace a-t-il eu beaucoup d’esprit et de saillies ? — Ah ! s’écriait Mécène, le drôle n’est pas venu, mais en revanche il a fait une satire sur ce repas ridicule ; lisez plutôt : voici comme il nous traite, nous autres les malheureuses victimes de Rufus.

Que ces aimables pièces fugitives, adoptées par la postérité comme autant de chefs-d’œuvre, aient été composées tout exprès pour la gloire et surtout pour la bonne humeur de Mécène, la chose est loin de faire un doute. Cet esprit qu’il aimait, Mécène le trouvait toujours tout prêt à sourire, tout prêt à se moquer des sots, des fats, des fripons, des avares, des ridicules. Entre Louis XIV et Molière, entre le roi et le comédien, vous avez vu s’établir cette espèce de fraternité insaisissable au premier abord, et qui pourtant se retrouve facilement dans les comédies du grand poète. La scène des Fâcheux, le nom même du Tartufe, les amours du roi, les petits marquis de Versailles, sacrifiés à la verve comique de Molière, ce sont là des témoignages irrécusables de cette espèce de collaboration puissante entre les volontés qui gouvernent les sociétés humaines et les esprits charmans qui les éclairent. C’est donc un spectacle plein d’intérêt que de les voir, Horace et Mécène, vivant ensemble d’une vie commune, buvant dans le même verre, dînant à la même table, et plus d’une fois partageant les mêmes amours. — Vous avez lu le Voyage