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HORACE.

l’injure. L’envie est l’utile aiguillon de ces existences heureuses ; elle vous empêche de vous endormir dans votre rêve, elle vous force à défendre votre bonheur, et elle vous le fait aimer. Envié, vous voulez être heureux pour vous d’abord, contre les autres ensuite. Quant à l’injure, Horace savait s’en servir comme doit s’en servir un homme d’un rare esprit et d’un admirable bon sens. Il se servit de l’injure pour réussir.

C’est ainsi qu’à propos de ses envieux et de ses calomniateurs, il trouve moyen d’adresser à Mécène ses plus ingénieuses flatteries : « Savez-vous, dit-il à Mécène, ils disent que je suis le fils d’un affranchi ! Ils ajoutent que je me suis battu à Philippes contre Octave ! Grands dieux ! si je me suis battu ? à telle enseigne que j’ai jeté là mon épée et mon bouclier pour me sauver plus vite ! — Pauvres gens ! s’ils pouvaient savoir ce que c’est que ma faveur près de Mécène. Mécène m’a fait son ami, et pourquoi ? pour me dire : « Quelle heure est-il ? Étiez-vous au cirque hier ? Que pensez-vous du gladiateur Gallirie ? — Il faut prendre garde à vous, car les matinées sont bien froides. » Voilà, voilà les grands secrets que me confie le préfet de Rome ! Cependant, chacun, me voyant passer, s’écrie avec envie : Faisons place au favori des dieux ! » C’est ainsi qu’il plaisante de sa faveur, c’est ainsi qu’il reconnaît, par une modestie sans bassesse, la familiarité de Mécène. — Croyez cependant, malgré tout cet enjouement qui se rencontre à la surface de leur amitié, que l’entraînement de ces deux hommes l’un pour l’autre a été sérieux et sincère. Une sympathie mutuelle les unissait, ils avaient en eux les mêmes qualités, les mêmes goûts, le même mépris pour les faux stoïciens, et aussi, disons-le, ils avaient les mêmes vices, ce qui ne nuit jamais à l’amitié, quand ce sont d’innocens petits vices. Ils ne pouvaient se passer celui-ci de celui-là, et cependant c’était Mécène qui courait après Horace, c’était lui qui se plaignait d’être le négligé, d’être abandonné, d’être oublié par un ingrat. Il l’eût voulu à toute heure, à chaque instant. — Où est Horace ? disait-il. Il en parlait à l’empereur en plein conseil, et il en parla tant de fois et si bien, que l’empereur voulut le voir. — Justement je dîne avec lui demain, répondait Mécène, chez Nasidienus Rufus. — Mais, par Vénus, qu’allez-vous donc faire chez cet avare Rufus ? disait l’empereur.

En effet, le lendemain, Mécène et Fundanius, le poète comique, s’en vont dîner chez Nasidienus Rufus. Mécène espérait fort qu’Horace son ami ne l’abandonnerait pas en cette circonstance, et qu’il serait son ombre à ce festin. Vain espoir ! Horace avait fait préparer