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HORACE.

En attendant les grandes odes politiques, il chantait le vin et l’amour. Il les chantait comme un homme qui aime ces deux passions de la vie heureuse, comme un poète qui s’est enivré ce matin encore, et qu’un nouvel amour attend ce soir. Rome espérait une satire, elle se contenta de ces douces chansons. Donnez-nous seulement un poète populaire, et nous irons très volontiers partout où il voudra nous conduire. Couronne de lauriers ou couronne de roses, peu nous importe la couronne, pourvu qu’il l’ait portée. Ainsi nous avons vu, chez nous, le même poète célébrer à la fois Lisette et l’empereur Napoléon, Waterloo et le grenier où l’on est si bien à vingt ans. Pendant quinze ans, nous avons partagé toutes ces émotions poétiques : joies délirantes, douleurs patriotiques, vieux soldats qui restent couchés sur les champs de bataille, — égrillardes fillettes qui boivent et qui chantent à plein verre. — Ce double délire de l’amour et de la gloire, toute la France l’a partagé, vous savez avec quelle frénésie. Dans son coffre au Panthéon, le vieux Voltaire s’est irrité d’indignation et d’effroi en se voyant effacé par un des successeurs de Collé et de Panard. En ce temps-là, on disait des chansons de Béranger : Ce sont des odes ; nous dirons, nous autres, à plus forte raison, des odes galantes et bachiques d’Horace : Ce ne sont pas des odes, ce sont des chansons. Ces aimables chansons allaient partout dans une ville à court de poésie, elles allaient jusqu’au palais de l’empereur. Neuf mois après la première présentation d’Horace, Mécène rappela le poète qu’il avait si mal accueilli d’abord. Il lui sut bon gré de n’avoir pas voulu forcer son amitié, l’injure à la bouche, comme cela se fait encore de nos jours. Ils se revirent, ils se plurent, ils s’aimèrent. Voilà notre poète très heureux d’avoir trouvé ce grand ministre, si grand amateur de bon vin, de beaux vers et de bonne chère ; voilà Mécène très heureux d’avoir rencontré ce gai compagnon, si facile à vivre, si plein d’esprit, si gai buveur. Entre deux hommes placés à de si grandes distances et qui ont besoin l’un de l’autre, celui-ci pour vivre, celui-là pour être heureux, l’amitié est bientôt faite. Horace, en homme de bon sens, se mit alors à penser à sa fortune. Il se trouva trop pauvre pour être impunément l’ami d’un homme comme Mécène. Comment faire cependant ? Notre poète ne pouvait guère tendre la main comme fit Martial plus tard. — Il fit mieux que cela, il suivit l’exemple de son père, il acheta une charge dans l’administration du trésor public : humble charge de scribe, il est vrai, mais enfin on tenait au trésor ; on n’était pas purement et simplement un poète ; on était placé immédiatement sous les ordres