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tout d’abord. Elle courait après le jeune Télèphe ; — de Télèphe elle passa à Calaïs, fils d’Onitus ; puis Télèphe et Calaïs étaient bientôt devenus des hommes sérieux, des préteurs, des proconsuls, pendant qu’Horace, plus heureux et plus sage, était resté un homme futile, un poète : si bien que Lydie, quand elle eut tout-à-fait ruiné et perdu Sybaris, finit par aimer le poète. Elle avait été riche et toute-puissante ; elle avait vu des rois à ses genoux ; des hommes d’état s’étaient dits ses esclaves : elle finit par trouver que de tous ceux-là, c’était le poète qui valait encore le mieux. Mais quoi ! elle fut infidèle ; elle agit un peu comme Manon Lescaut. Un jour qu’Horace, devenu plus grave et déjà trop gros pour jouer tout à l’aise les rôles futiles de l’amour, relisait les poèmes d’Homère à Préneste (Prœneste relegi), Lydie s’enfuit on ne sait où. Elle alla où vont toutes les femmes galantes, après le premier venu qui passe dans leur cœur. Dans la douleur de perdre encore, pour la cinquième ou sixième fois, son infidèle maîtresse, Horace l’aimait encore assez pour l’écraser de son iambe vengeur. Et savez-vous par qui fut remplacée cette Lydie tant aimée ? Elle fut remplacée par une esclave, l’esclave d’un Grec nommé Xanthias. — Mais, Horace, vous n’y pensez pas ! Vous avez quarante ans ! — Au contraire, dit-il, j’y ai bien pensé ; mais Briséis était une esclave, et cependant elle fut aimée d’Ajax ; mais Cassandre était une esclave, et elle fut aimée d’Agamemnon. Ainsi il se défend lui-même de ces dernières folies dans les plus charmans vers qu’il ait jamais écrits.

Esprit facile, sensualiste, ardent ! Toutefois, ne l’oublions pas, Quintilien lui-même avoue, non pas sans un peu d’hésitation il est vrai, qu’il y a plusieurs choses dans Horace qu’il ne se chargerait pas d’expliquer.

Lydie resta cependant l’amie d’Horace et même quelque chose de plus. Ils se raccommodèrent comme on dit que les gueux se raccommodent, ils se raccommodèrent à l’écuelle.

« Viens, Lydie, viens ! Le midi approche, dînons ensemble ! Apporte ton vin le plus vieux ; je te chanterai les amours de Neptune, tu me raconteras l’histoire de Latone, nous chanterons en chœur la nuit et ses plaisirs ! » Cependant soyez tranquille, laissez-lui jeter son dernier feu, et vous verrez qu’à tout prendre nous avons affaire à un homme sage. L’amour va disparaître de cette vie si bien faite ; l’amitié, l’étude, la campagne et aussi quelquefois l’empereur Auguste, et Mécène toujours, et les plaisirs de la table, et la promenade, et tous les petits accidens de la vie, et la philosophie heureuse, vont remplacer ces douces chansons. Déjà les maîtresses d’Horace sont devenues