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REVUE. — CHRONIQUE.

avait été rappelée, mais il était impossible qu’elle pût repasser le Khourd-Caboul sans y périr tout entière. Il n’y avait donc pas de secours à espérer avant le printemps, et les assiégés n’avaient plus de provisions.

Ce furent ces lugubres nouvelles que l’avant-dernier courrier de l’Inde apporta en Angleterre. Elles y jetèrent la consternation. Les plus sinistres rumeurs se répandaient ; le premier ministre les niait faiblement et avec tristesse dans le parlement, en préparant le pays aux plus tristes révélations. Et en effet, depuis long-temps la puissance anglaise n’avait reçu, dans aucune partie du monde, un coup aussi grave.

Les dernières nouvelles ont justifié toutes les craintes. Le meilleur sang de l’Angleterre avait encore coulé, et, depuis le 2 novembre jusqu’au 25 décembre, la révolte ne s’était pas ralentie un seul jour. Vingt-huit officiers anglais avaient été tués ou assassinés, et les vindicatifs Afghans continuaient à traquer impitoyablement leurs ennemis aux abois. Il y avait des combats tous les jours ; dix mille cadavres d’hommes et d’animaux infectaient l’air et ajoutaient aux horreurs du siége. Dans la citadelle, où se tenait le schah Soudja, affamé par ses fidèles sujets, il n’y avait bientôt plus ni vivres ni poudre. Dans le camp du général Elphinstone, les vivres étaient aussi rares. Le 25 novembre, Ackbar-Khan, le fils favori de Dost-Mohammed, était venu joindre les insurgés et organiser leurs plans d’attaque. Le 9 décembre, il ne restait plus, dit-on, de vivres que pour trois jours dans le camp, et, dans la citadelle, les assiégés vivaient depuis huit jours de viande de cheval.

Pris par la famine et par l’abandon, les Anglais demandèrent enfin à capituler. Le 25 décembre, jour de Noël, sir William Mac-Naghten se rendit auprès des chefs pour parlementer. Il avait avec lui quatre officiers et huit soldats. L’entrevue eut lieu sur un pont situé entre la ville et le camp. Ackbar-Khan y vint avec peu d’hommes ; mais on a su depuis qu’il avait mis seize cavaliers en embuscade. On ne sait pas encore bien exactement ce qui se passa dans cette entrevue, mais elle fut extrêmement vive. Les chefs afghans savaient que les assiégés étaient à leur merci, et ceux-ci avaient à maintenir leur dignité d’Européens et leur orgueil d’Anglais. Ils ne faillirent ni à l’une ni à l’autre. Ils étaient seuls, loin de tout secours, enfouis dans des solitudes fermées par les neiges, environnés par trente-cinq mille ennemis, affamés et abandonnés jusqu’au printemps, et cependant le brave et orgueileux Anglais, en entendant les conditions que lui faisaient ses vainqueurs, se leva, et s’écria avec colère : « Plutôt la mort que le déshonneur ! Nous mettons notre confiance dans le dieu des batailles, et en son nom nous défions nos ennemis ! » Comme l’envoyé se levait pour partir, le fils de Dost-Mohammed lui tira un coup de pistolet, et le manqua ; puis, d’un second coup au milieu de la poitrine, il le renversa mort. Un des officiers anglais tira son épée, et se jeta sur l’assassin ; mais il fut mis en pièces. Alors les cavaliers placés en embuscade se précipitèrent sur la malheureuse troupe ; les trois officiers furent pris, mais les soldats purent s’échapper et rentrer au camp où ils portèrent la nouvelle de la mort de sir William Mac-Naghten. Il paraît