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REVUE. — CHRONIQUE.

anglais, irrité de ce délai, fit sauter le fort avec du canon, tua le chef, qui avait fait une résistance désespérée, et toute sa troupe, sauf quatre hommes. Ces hommes étaient d’une tribu puissante, celle des Ghilzis, et le correspondant anglais qui donne ces détails ajoute : « La tribu, forte de cinq mille hommes, se rassembla, et jura sur le Coran de venger le sang innocent de son peuple. On ne fit aucune tentative pour les apaiser, et on eut recours à la force. » Il paraît, en effet, que la révolte fut momentanément comprimée, mais pour éclater ensuite plus sanglante et plus cruelle que jamais.

La seconde faute des Anglais eut pour cause l’état d’épuisement de leur trésor. Le déficit de la compagnie des Indes s’agrandissait tellement, qu’il fallut songer à restreindre les dépenses, et, par une préférence très impolitique, M. Mac-Naghten commença par réduire de quarante mille roupies la subvention accordée aux chefs qui occupent les défilés des montagnes, et qui tiennent le passage ouvert entre Caboul et Jellalabad. Les réclamations des chefs furent traitées avec mépris, et aussitôt après l’insurrection s’organisa, les passages furent fermés, et toute communication fut coupée entre les troupes de l’expédition et l’Indoustan.

Le général Elphinstone, qui commandait à Caboul, de concert avec sir William Mac-Naghten, l’agent politique, détacha le général Sale avec sa brigade pour dégager les défilés et rétablir le passage du Khourd-Caboul. La brigade partit de Caboul le 12 octobre et entra dans le défilé le même jour, sans prévoir la résistance terrible qu’elle allait y rencontrer. Une fois engagés dans ces gorges impraticables, les Anglais ne pouvaient plus songer à retourner sur leurs pas ; pendant dix-huit jours, ils furent pour ainsi dire étranglés dans des défilés où chaque pas était disputé corps à corps ; dès le premier jour, le général Sale fut blessé et obligé d’abandonner son commandement, et le quart de la brigade fut exterminé. Du 12 octobre au 2 novembre, les troupes ne purent faire que quatre milles par jour, et arrivèrent enfin épuisées à Gundamuck, de l’autre côté de la gorge du Khourd-Caboul. Elles se reposèrent quelques jours, puis partirent pour Jellalabad, toujours harcelées par les tribus en insurrection. Entrées dans la ville, elles s’y trouvèrent enfermées avec des provisions pour trois jours. Leur position était désespérée, lorsqu’elles reçurent de Peschawer des secours inattendus et des vivres pour trois mois.

Ce fut alors, et au moment même où la garnison de Caboul était affaiblie par cette diversion, qu’une insurrection formidable éclata dans la capitale. Il paraît que les Anglais ignorèrent jusqu’à la fin l’existence de la conspiration. Des trente-deux agens politiques répandus dans le royaume, pas un n’en surprit la trace. Le malheureux Burnes était aveuglé par une confiance excessive dans les indigènes, et, le premier de tous, il écrivait au gouvernement de l’Inde que les chefs afghans étaient sincèrement ralliés au schah Soudja, et qu’on pouvait retirer les troupes anglaises des garnisons. M. Mac-Naghten envoyait aussi les rapports les plus confians, et s’apprêtait à quitter Caboul pour aller prendre le gouvernement de Bombay. Tous dormaient ; ils ne se réveillèrent qu’au milieu du massacre.