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russe devait conseiller au prince de Caboul de rechercher l’appui et le secours du gouvernement persan dans la lutte qu’il soutient contre le souverain de Lahore, Runjet-Singh ; et les rapports reçus par le cabinet anglais sur le langage qu’a tenu cet agent à Candahar et à Caboul, indiquent clairement que le but de ses efforts était de détourner les souverains des diverses principautés de l’Afghanistan de toute alliance avec l’Angleterre, et de les déterminer à mettre toute leur confiance dans la Perse et dans la Russie.

« Si le gouvernement britannique pouvait avoir quelques doutes sur l’exactitude des rapports qu’il a reçus, tous ces doutes seraient dissipés par les propos malveillans que le comte Simonich a tenus, sur le gouvernement anglais, aux agens envoyés à la cour de Perse par le sultan de Caboul, propos sur lesquels ces agens ont adressé à leur maître un rapport spécial dont le gouvernement britannique a la copie entre les mains. »

La Russie eut l’air de battre en retraite ; elle désavoua tout, elle rappela le comte Simonich et refusa de ratifier la sanction qu’il avait donnée au traité ; elle décida le schah de Perse à lever le siége de Hérat, et enfin elle rappela son agent Vicowich. Cet homme était devenu compromettant, et un jour il se fit, dit-on, sauter la cervelle d’un coup de pistolet, après avoir eu soin de brûler ses papiers. Sa mort fut entourée d’un mystère qui est resté inexpliqué ; il en est qui la regardent comme une fable, et qui pensent qu’Omar-Bey n’a disparu que du monde politique.

Cependant, quoique la Russie parût céder sur tous les points et que lord Palmerston eût déclaré les explications de M. de Nesselrode parfaitement satisfaisantes, l’Angleterre continuait ses préparatifs. Sérieusement alarmée, elle avait résolu de frapper un grand coup et d’abattre la puissance menaçante de Dost-Mohammed. Le 26 juin 1838, un traité fut conclu entre lord Auckland, gouverneur-général des Indes, Runjet-Singh, roi de Lahore, et schah Soudja, un des princes légitimes pensionnés à Loudianah par lequel le gouvernement des Indes s’engageait à rétablir sur son trône ce fils de Timour. Dans la proclamation que lord Auckland publia alors, il disait que « la popularité du schah Soudja était prouvée par les meilleures autorités, et que, d’après les rapports des officiers qui avaient visité l’Afghanistan, la désunion et l’impopularité des chefs barukzis les rendaient incapables d’être jamais d’utiles alliés de l’Angleterre. » Le gouvernement de l’Inde s’abusait et abusait ses peuples. Tout au contraire, les officiers qui connaissaient l’Asie, tous sans exception, se prononçaient contre cette expédition aventureuse. Les hommes les plus expérimentés la condamnaient comme une grave et inutile imprudence, et le vieux duc de Wellington éleva dans le parlement sa voix prophétique et respectée pour déplorer l’égarement qui entraînait la puissance anglaise au-delà de l’Indus.

Malgré tous ces avertissements, le gouvernement de l’Inde commença cette campagne qui devait un jour porter des fruits si funestes pour l’Angleterre. Il eût été facile à l’armée expéditionnaire de prendre par les royaumes tributaires pour aller rejoindre le Punjab et son allié Runjet-Singh ; mais la com-