Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 29.djvu/1025

Cette page a été validée par deux contributeurs.
1015
REVUE. — CHRONIQUE.

Dost-Mohammed dans les bras de la Russie. Peschawer, qui était un des apanages du royaume de Caboul, était aux mains de Runjet-Singh, l’allié fidèle de l’Angleterre, qui le resta jusqu’à sa mort. Fort de cette protection redoutée, le roi de Lahore se riait de toutes les tentatives de Dost-Mohammed pour recouvrer cette portion de ses états. De plus, Dost-Mohammed était l’ennemi mortel, l’ennemi de caste de Kamram, prince de Hérat, le seul descendant régnant de Timour, et Kamram était encore le protégé de l’Angleterre. Les destinées de l’Asie, et celles de l’Europe peut-être, se sont long-temps agitées et s’agiteront sans doute encore autour des murailles de cette ville ignorée. Hérat est située à environ cent cinquante lieues entre Ispahan et Caboul. Le schah de Perse prétend avoir des droits de suzeraineté sur l’Afghanistan, et, quand il les oublie, la Russie se charge de les lui rappeler. C’est ainsi qu’en 1836, nous voyons le schah commencer le siége de Hérat, et le continuer pendant plusieurs années au milieu des plus curieuses vicissitudes. C’est un officier russe qui dirige les opérations du siége, pendant qu’un lieutenant anglais, Eldred Pottinger, se jette dans la place et en dirige la défense. M. Mac-Neill, le représentant anglais à la cour de Perse, écrivait à son gouvernement le 1er août 1838 : « Si Hérat tombe, la Russie devient la maîtresse sans partage des destinées politiques et commerciales de l’Asie centrale ; car, l’Angleterre se trouvant rejetée jusqu’à l’Indus, Khiva et Bockara seront forcés de se soumettre si on les attaque, tandis que la Perse et l’Afghanistan seront déjà entièrement à la disposition de la Russie. »

En même temps, des agens russes déguisés parcouraient toutes les contrées de l’Asie, Balkh, Bockara, Caboul, Lahore, et l’Inde anglaise ; ils cherchaient à nouer des relations directes avec les indigènes, et lord Auckland, gouverneur des Indes, écrivait au comité secret à Londres : « Je vous ai dit que je ne croyais pas à la stabilité de la domination persane dans les contrées afghanes ; mais il y a une marche ouverte aux agens de la Russie dans les efforts qu’ils font pour étendre l’influence de leur nation, et qu’ils paraissent devoir préférer à celle d’établir la domination directe de la Perse sur l’Afghanistan. On peut induire, de leur langage et de leurs démarches, qu’ils veulent, d’un côté paraître aider la Perse à établir sa suprématie générale sur tous les chefs afghans, et de l’autre protéger ces chefs contre toute attaque. Ceci peut bien servir les vues immédiates de la Perse, mais cela peut avoir aussi pour effet définitif, dans l’état d’anarchie de l’Afghanistan, de donner à la Russie l’arbitrage et le protectorat de tous les chefs de ces pays. Je n’ai pas besoin de dire que nous aurions le droit et l’intérêt le plus clairs à réclamer contre de pareils procédés, car la Russie ne peut avoir aucun motif légitime pour étendre ses relations politiques à l’Afghanistan, tandis que nous sommes nécessairement intéressés à la paix et à l’indépendance de ce pays par proximité et par position. »

Le gouvernement anglais réclamait en effet, mais le gouvernement russe niait ou désavouait ses agens, et continuait ses manœuvres. Cependant l’Angleterre eut bientôt des preuves positives à donner de l’intervention russe