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toute alternative : car, ce qui rend l’influence russe d’autant plus difficile à saisir et à combattre, c’est que la Russie n’intervient jamais qu’indirectement, et qu’elle n’apparaît que sous les couleurs de la Perse, qui est sous sa main. Dès 1836, nous voyons M. Ellis, chargé d’affaires anglais à Téhéran, écrire à lord Palmerston : « J’ai la conviction bien arrêtée que le gouvernement anglais ne peut permettre l’extension de la monarchie persane dans la direction de l’Afghanistan, sans mettre en danger la tranquillité intérieure de l’Inde, cette extension amènerait l’influence russe au seuil même de notre empire ; et comme la Perse ne veut pas, ou n’ose pas entrer en alliance étroite avec la Grande-Bretagne, notre politique doit être de la considérer non plus comme un ouvrage avancé pour la défense de l’Inde, mais comme la première ligne d’où commencera l’attaque. »

Mais peut-être convient-il de donner un aperçu rapide de la situation du pays au moment où l’expédition anglaise en changea la face. Le fondateur de l’empire des Afghans, Ahmed-Schah, était mort en 1773, laissant sur le trône son fils, Timour-Schah, qui régna vingt ans, et mourut en 93. Ses trois fils, Mahmoud, Zehman et Soudja, se divisèrent, et, au milieu de leurs troubles domestiques, une tribu rivale, celle des Barukzis, se partagea la monarchie des Afghans. Des descendans de la famille légitime, un seul garda une portion de l’héritage paternel ; ce fut le fils de Mahmoud, Kamram, qui est aujourd’hui le souverain de Hérat, capitale du Khoraçan afghan. Les quatre villes royales de l’Afghanistan sont : Caboul, Candahar, Ghizni, Peschawer. Dost-Mohammed, le chef de la tribu usurpatrice des Barukzis, avait établi son autorité à Caboul ; un de ses frères était à Ghizni, et un autre à Candahar. Peschawer avait été distrait de la monarchie des Afghans, et était tombé sous la suzeraineté du fameux roi de Lahore, Runjet-Singh. Des trois descendans de la race légitime, un était mort, et les deux autres s’étaient réfugiés à Loudianah, chez les Anglais, qui leur faisaient une pension. Le premier, Zehman, était aveugle, son frère Mahmoud lui ayant fait crever les yeux ; le second, schah Soudja, après avoir eu des aventures inouies et tenté deux fois de reconquérir son royaume, s’occupait philosophiquement à écrire ses mémoires, quand les Anglais vinrent le prendre et le replacer sur son trône. Alexandre Burnes, l’homme du monde qui connaissait le mieux l’Asie, regardait les deux princes légitimes comme tout-à-fait incapables de relever la monarchie des Afghans. Il avait toujours conseillé au gouvernement de l’Inde de soutenir la cause de Dost-Mohammed, le conquérant de Caboul, et de l’aider à réunir sous sa domination toutes les principautés dispersées pour en faire une barrière entre l’Inde et la Russie. « Si nous pouvons, écrivait-il, rétablir l’union dans la famille des Barukzis, ce que je regarde comme très aisé, nous élèverons dans ce pays, au lieu d’états divisés et ouverts à toutes les intrigues, une barrière qui préservera nos possessions. » Dost-Mohammed passait en effet pour l’homme le plus habile et le plus brave soldat des Afghans ; peut-être ces qualités même ont-elles inquiété les Anglais ; toujours est-il qu’ils ont préféré se faire de lui un ennemi. Plusieurs causes, toutefois, tendaient déjà à jeter