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REVUE. — CHRONIQUE.

papier, sous des noms divers, avec des combinaisons plus ou moins ingénieuses. Ils prennent pour une création de richesse ce qui n’est qu’un mode plus ou moins utile, plus ou moins dangereux, de distribution et de circulation. Ils oublient qu’une promesse de payer n’est rien lorsqu’elle n’est pas garantie par une richesse déjà produite ou du moins par une richesse prochaine et certaine. Hors de là il n’y a que des chimères d’abord, et ensuite une effroyable réalité, la banqueroute, la banqueroute, qui engloutit dans son gouffre les ouvriers, les fournisseurs de matières premières, tous les vrais producteurs en un mot qui ont fourni, eux, non des paroles, non du papier, non des promesses, mais leur travail, mais leur bien, le bien de leurs familles, le pain de leurs enfans ! L’industrie et le commerce n’ont déjà été que trop souvent victimes, dans les deux mondes, de ces déplorables hallucinations. Nous n’avons du reste aucune crainte de cette nature pour la France. Le pays n’est nullement disposé à se jeter dans ces témérités. Il est plutôt timide que hardi dans l’emploi des moyens de crédit, et on ne vaincra pas facilement la répugnance qu’ils lui inspirent. Il se passera long-temps avant qu’il se prête, je ne dis pas à l’abus, mais à un emploi raisonnable et courageux de ces moyens.

Quoi qu’il en soit le capital disponible étant limité, il serait absurde de l’appeler en même temps à un grand nombre d’entreprises colossales. Il est trois chemins que l’intérêt stratégique comme l’intérêt commercial de la France nous impose avant tout : le chemin de Paris à la frontière belge ou à la Manche, celui de Paris au Rhin, et celui du Midi, car nous avons aussi un grand intérêt politique et commercial à rapprocher de nous la frontière des Pyrénées, et une nation qui, quoi qu’on fasse, sera toujours dans des rapports intimes avec nous ; je veux dire l’Espagne. Ce sont là les trois grandes lignes qu’il faut s’efforcer d’établir d’abord. Ce sont là les points qu’il faut chercher à atteindre aussi promptement que cela est possible. A-t-on jamais songé à couvrir d’un seul coup la surface de la France de canaux et de grandes routes ? Tout se fait, tout doit se faire successivement. À quoi bon tout commencer pour ne rien finir ? À quoi bon engager des capitaux qui, l’œuvre restant inachevée, ne rapporteraient pas les profits qu’on a le droit d’en attendre ? C’est ainsi qu’on tarit les sources de la prospérité nationale, et que ce qui aurait été, avec une meilleure direction, un élément de richesse, devient une cause d’appauvrissement et de décadence.

La chambre des pairs a discuté et voté à une grande majorité, 92 suffrages affirmatifs contre 28 suffrages négatifs, l’important projet de loi qui a pour but d’appliquer à nos colonies d’Amérique le système hypothécaire et l’expropriation forcée. Le projet, tel qu’il avait été modifié par la commission de la chambre, n’a subi, dans le cours de la discussion, que deux modifications sans importance. Un autre amendement, proposé par M. le vice-amiral de Mackau, et qui aurait fort affaibli l’efficacité de la loi, a été rejeté à une grande majorité. Si la chambre des députés adopte également le projet, on peut espérer de voir dans quelques années l’ordre succéder au désordre dans