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Quant au régent lui-même, on aura bien de la peine à faire admettre par quelqu’un que ce soit décidément un grand homme. Il a paru plus difficile jusqu’ici de mériter ce nom. Son succès ne prouve qu’une chose, c’est que le succès tient souvent à des causes générales et qui n’ont rien de personnel. On avait cru de tout temps qu’un usurpateur ne pouvait se maintenir qu’en accomplissant de grandes choses. Ce n’est pas en se levant tous les jours à trois heures de l’après-midi et en passant leur journée à fumer et à jouer au tressillo, que Bonaparte et Cromwell sont devenus les maîtres de deux grands pays. Il paraît qu’en Espagne il en est autrement ; soit, mais on conviendra qu’il est permis alors de réserver son admiration. Au point où Espartero est arrivé, il est impossible de dire où et quand il s’arrêtera. Déjà, dit-on, on s’est distribué autour de lui les grades et les titres de la future cour impériale. La destinée lui réserve-t-elle ce dernier honneur ? Ce serait un spectacle curieux, original, bizarre, et dont nous serions loin de contester la piquante nouveauté, mais qui ne prouverait que la vanité de la gloire, de la puissance et de l’ambition. L’avancement seul ne suffit pas ; il faut encore le justifier par des services rendus à son pays. Sinon la plus haute fortune n’est qu’une énigme qui peut intriguer les contemporains et déconcerter l’histoire, sans donner la véritable grandeur à celui qui la personnifie.

Nous ne savons ce que le gouvernement français se propose de faire ; mais il nous semble d’autant plus à propos d’attendre, avant de se prosterner devant l’heureux dominateur de l’Espagne, qu’une crise prochaine doit nécessairement arriver dans les affaires de ce pays. La reine Isabelle aura douze ans dans six mois. Or, en Espagne les jeunes filles sont légalement nubiles à douze ans, et, si l’on en croit le bruit qui circule, la nature s’est déjà mise d’accord avec la loi. La question du mariage de la reine peut donc se présenter à tout moment. Il est vrai que, si le gouvernement veut en ajourner la solution, il peut la renvoyer à la majorité proprement dite, qui n’aura lieu que dans deux ans et demi. Mais il peut arriver aussi qu’on veuille précipiter la conclusion. Dans tous les cas, que la question se pose dans six mois ou dans deux ans, elle peut être considérée comme imminente, car ce n’est rien qu’un délai de deux ans pour une affaire aussi importante. Que la royauté doive subsister ou disparaître, son sort va se décider. Dans six mois, le mariage est possible, dans deux ans la régence finit de droit. L’une ou l’autre de ces échéances doit amener des complications graves ; dans toutes deux, le parti modéré peut trouver une occasion de reprendre ou de partager le pouvoir politique, et par suite le gouvernement français peut espérer de neutraliser l’influence anglaise, car ces deux causes sont indissolublement unies par les évènemens, et de même que la défaite a été commune, les chances de revanche sont communes aussi.

Jusqu’ici on a parlé de cinq prétendans pour la main de la reine : un fils de don Carlos, un fils de l’infant don Francisco, un Cobourg, un prince français et un archiduc. À ces divers noms se rattachent des combinaisons et des espérances diverses.