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mandé si, en les publiant, on ne servirait pas quelque intrigue antinationale ; on a tout accepté sans contrôle, sans examen, et, quand le dénouement est arrivé, on a été tout surpris d’avoir été joué, ce qui n’empêchera pas qu’on recommence demain.

Nul ne respecte plus que nous la cause de la liberté en Espagne comme partout. Mais cette cause n’est pas en question ; depuis l’exclusion de don Carlos, elle est gagnée. Si nous pouvions croire à une alliance des carlistes et des christinos, nous en serions aussi inquiets que personne. Nous chercherions à savoir à quelles conditions elle se ferait, et si le progrès naturel des institutions nouvelles chez nos voisins nous paraissait menacé le moins du monde, nous serions les premiers à nous récrier. Mais rien ne prouve que de pareils soupçons soient fondés. Le débat reste ce qu’il était hier ; il n’est pas entre les contre-révolutionnaires et les libéraux, mais entre les deux nuances du parti libéral en Espagne. Or, nous savons que le parti qui domine aujourd’hui est hostile à la France, et nous nous tenons en garde contre ses embûches. C’est ce sentiment que nous voudrions voir partagé par les journaux français. Il est dans l’intérêt évident du gouvernement actuel de l’Espagne de se donner pour le représentant exclusif de la régénération nationale ; de leur côté, les Anglais de toutes les couleurs se montrent très pressés de prendre ce gouvernement au mot, et de le proclamer l’unique dépositaire de l’avenir constitutionnel du pays. Ce doit être pour l’opinion en France une raison de se défier et de ne pas accepter légèrement ce qu’on lui dit. Ceci n’est pas seulement une question espagnole, c’est une question française. Est-ce trop exiger que de demander à des Français de la traiter un peu sous le point de vue français ?

On répond à cela que, si le parti dominant en Espagne se montre mal disposé envers la France, c’est la faute de notre gouvernement. D’abord ce reproche serait fondé, qu’il ne justifierait pas ceux qui le font. Le mal est accompli maintenant, si mal y a, et ce serait le devoir de tout bon Français de se ranger avant tout sous le drapeau national. Mais ceux qui font parmi nous les affaires de la ligue anglo-espagnole n’ont même pas cette excuse. Il y a ici un malentendu singulier qui dure depuis trop long-temps pour qu’il ne soit pas volontaire. De toutes parts, en Espagne, en Angleterre, en France, nous entendons parler de l’intervention du gouvernement français dans les affaires intérieures de la Péninsule. Où voyez-vous donc cette intervention ? Quel est l’acte ou seulement le mot qui puisse la faire soupçonner ? Il en est de l’action de la France en Espagne comme de la fameuse conspiration carlo-christine ; le bruit en est partout, la réalité nulle part. Nous craignons bien plutôt que la politique française ne soit inactive sur notre frontière des Pyrénées, comme on l’accuse de l’être ailleurs, et que, là aussi, elle n’ait d’autre but que de ne point se créer d’embarras. Nous concevrions qu’on lui fit le reproche de ne pas agir, de laisser dépérir nos alliances, de tout abandonner à la fatalité des évènemens ; mais l’accuser de trop d’action, lui faire un crime de ses prétentions envahissantes, c’est se moquer.