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POLITIQUE EXTÉRIEURE.

Ce que les bruits de conspiration ont jusqu’ici produit de plus clair, c’est la déclaration de lord Aberdeen à la chambre des lords et celle de sir Robert Peel à la chambre des communes. Les ministères changent à Londres, la politique suivie à l’égard de l’Espagne ne change pas : voilà ce qu’il était important de constater. La fameuse machination carlo-christine n’a été inventée que pour en fournir l’occasion. Maintenant l’Espagne sait que lord Aberdeen pense comme lord Clarendon, et sir Robert Peel comme lord Palmerston, sur le produit des émeutes de septembre ; elle sait qu’au besoin l’Angleterre enverra des vaisseaux de guerre sur ses côtes pour la protection des intérêts anglais. Cela suffit. Cabrera peut se promener en paix sur les bords du Rhône, et Narvaez au foyer de nos théâtres ; on n’a plus besoin d’eux en Navarre et sur la côte d’Afrique. Quant au père Casarès, c’est un maladroit ; on en sera quitte pour ne plus se servir de lui.

Il y a bien quelque chose à dire sur cette attitude prise par les ministres tories. Ces ministres n’ont pas toujours jugé comme aujourd’hui les affaires d’Espagne. C’est d’après les conseils et avec le secours des tories anglais que don Carlos partit d’Angleterre en 1834 pour aller porter la guerre civile en Navarre. Lord Aberdeen était moins favorable alors au gouvernement de fait, mais il est arrivé depuis bien des évènemens qui ont changé la face des choses. D’abord don Carlos a été vaincu, ce qui n’est pas une recommandation auprès des hommes d’état en général ; ensuite, il s’est formé, sous les auspices du ministère whig, un parti anglais en Espagne, et ce parti a maintenant le haut du pavé. Après tout, que veut l’Angleterre ? Dominer, toujours dominer, et surtout exclure l’influence française. On avait cru pouvoir se servir de don Carlos dans ce but ; don Carlos a manqué, mais Espartero s’est présenté ; va pour Espartero. Qu’importe la différence des moyens, pourvu que le résultat soit le même ? Un bon ministre anglais n’y regarde pas de si près, et, quand l’intérêt de son pays est satisfait, il ne s’inquiète pas de se mettre d’accord avec lui-même. Sur ce point comme sur d’autres, le ministère tory a adopté la politique du ministère whig après l’avoir long-temps combattue, et il s’est prêté de fort bonne grace à l’interpellation convenue.

Cette petite mystification a été exécutée avec beaucoup d’ensemble. Plusieurs de nos journaux se sont fait surtout remarquer par leur zèle à servir de compères. C’est là le rôle que la France a joué dans la représentation, et il est triste. Le degré d’aveuglement que certains organes de notre presse apportent dans cette malheureuse question d’Espagne, a quelque chose de désolant. Il suffit qu’il y ait quelque part une apparence de libéralisme, pour qu’ils se croient obligés d’en prendre la défense. Cette disposition est honorable sans doute, seulement elle peut les mener fort loin, s’ils n’y prennent garde. Il n’est pas de conte si invraisemblable qu’ils ne l’accueillent avec empressement, dès que leur passion est flattée. Il s’agissait ici d’un prétendu complot quasi absolutiste ; comment résister à la tentation de le divulguer et d’en faire grand bruit ? On ne s’est pas occupé de savoir si les faits étaient vrais, s’ils étaient seulement vraisemblables ; on ne s’est pas de-