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sombre et implacable misantropie ; ce n’est pas celui-là non plus qui va se mettre à suivre d’un pas terrible et solennel le peuple romain dans ses fanges sanglantes. Laissez, laissez venir Juvénal ! laissez venir Perse ! laissez venir Tacite ! hommes terribles dont le sourire même est encore une malédiction, une menace. — Notre charmant poète rit le premier de ses malices. Et parce qu’il en rit tout le premier, il y renonce. Il lui faut, pour vivre de la vie qu’il a rêvée, un vin vieux et des roses nouvelles, de jeunes courtisanes et ses amis d’enfance. Il lui faut la campagne, les frais ruisseaux, les claires fontaines, la vallée doucement inclinée, le clair de lune, et même le vent d’hiver qui tombe en grondant des hauteurs glacées du Soracte. Poète satirique, il est vrai, mais, avant tout, poète amoureux ; disciple de Lucilius, je le veux bien, mais aussi disciple d’Anacréon. Châtions le vice, à la bonne heure ! mais, dans tous ces vices qu’il flagelle d’une main si légère et au fond si bienveillante, il choisit les vices qui sont à sa taille, et il s’en faisait sa bonne petite part, — vices innocens dont personne n’a à souffrir, pas même lui. Ceux-là, il les aime ; ceux-là, il les chante, comme un véritable épicurien qu’il est en effet. Lui-même il nous a donné son portrait à cet âge heureux de la jeunesse : « Sa taille était courte et vigoureuse, ses cheveux étaient noirs et couvraient son front de leurs boucles soyeuses ; la santé brillait dans toute sa personne, il avait le feu dans les yeux et dans le cœur ; seulement ses yeux étaient un peu rouges ; » — il en plaisante lui-même dans ses satires avec toute sorte de bonne humeur. Aussi, à peine eut-il gagné ses éperons dans la bataille de chaque jour, à peine eut-il gagné de quoi avoir une maison, une toge, deux esclaves, qu’il se mit à obéir, non pas à son cœur, car, il faut le dire à sa louange, de ce côté de l’amour, il n’a jamais eu beaucoup de cœur, mais à l’emportement de ses passions et de ses sens. Songez donc qu’il était Italien, qu’il avait vingt-six ans à peine, qu’il avait vécu à Athènes dans tous les enchantemens amoureux des grands poètes de la Grèce, et qu’il arrivait à Rome au milieu de toutes les licences, de tous les désordres, de toutes les passions sans frein de cette république vaincue qui allait devenir la chose des empereurs. Cette Rome licencieuse et galante dont le poète Ovide devait être l’historien persécuté, vous savez ce qu’elle était au temps d’Horace. Elle comprenait déjà qu’il fallait mourir ; elle avait appris enfin la toute-puissance des femmes dans les affaires de ce monde, les malheurs d’Octavie, les fureurs jalouses de Fulvie, la femme d’Antoine, les scandales de Cléopâtre. Que vous dirai-je ? Ajoutez cette longue