Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 28.djvu/999

Cette page a été validée par deux contributeurs.
995
PROGRÈS DE LA RUSSIE DANS L’ASIE CENTRLE.

mouks, les Bachirs et les Zungars, comme des lièvres par des chiens lévriers. » Aboulkaïr, ensuite, présenta sa démarche auprès de l’impératrice Anne sous les couleurs les plus favorables à son patriotisme et à son amour pour son peuple. Le tour de Tékelef vint enfin, et jamais les séductions de son langage ne parurent plus irrésistibles. Il fit ressortir avec tant de force tous les avantages de la réunion des steppes à l’empire, il prodigua tant de promesses, que l’assemblée convoquée pour le perdre couronna ses efforts en prêtant serment de fidélité à la Russie. Voilà certes un des plus beaux triomphes que le génie d’un homme ait jamais remportés sur les préjugés des masses.

Quoique son khan et ses députés eussent assisté au grand champ de mars de la nation, la moyenne horde, plus éloignée de la Russie, plus attachée à ses mœurs, témoigna, par une attaque soudaine dirigée contre la Sibérie, des vives répugnances que lui inspirait une suzeraineté étrangère. La petite horde commençait elle-même à s’émouvoir, lorsqu’Aboulkaïr passa le Syr-Daria pour éloigner son peuple du foyer qui menaçait de ranimer tous ses instincts nomades. L’influence du khan, jointe à l’habileté de Tékelef, amena la soumission volontaire à la Russie de la petite nation des Karakalpaks, qui campait à peu de distance du Syr-Daria. Cet exemple calma l’agitation des Kirghiz ; Aboulkaïr revint camper en-deçà du Syr, et Tékélef prit le chemin de Saint-Pétersbourg, où l’on ne s’attendait plus à le revoir. Son retour rendit au gouvernement ses anciennes espérances. Bientôt une ambassade kirghize, conduite par Erali sultan, fils d’Aboulkaïr, parut avec éclat à la cour de l’impératrice et confirma toutes les paroles de Tékelef en y ajoutant mille promesses dont l’exagération n’échappa point à la sagacité du cabinet russe. Toutefois, le moment d’agir était venu. Le conseiller d’état Kirilof, qui par ses travaux sur les peuples de l’Asie avait mérité d’attirer l’attention de Pierre-le-Grand, fut choisi pour exécuter les desseins de l’impératrice. Une révolte des Bachirs ne lui permit pas de s’occuper activement des affaires kirghizes ; cependant il parvint à fonder la forteresse d’Orenbourg, qui, construite au confluent de l’Oural et de l’Ori, va devenir le centre des relations de la Russie avec les steppes. Cette œuvre accomplie, Kirilof mourut. Son successeur, Tatischef, plus heureux que lui, sut, à force d’adresse et de zèle, amener Aboulkaïr à reconnaître la suprématie des czars sous les murailles même d’Orenbourg. Suivi des principaux chefs de la horde, le khan vint poser sa tente en vue de la nouvelle forteresse.