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PROGRÈS DE LA RUSSIE DANS L’ASIE CENTRLE.

que les Kirghiz-Kazaks forment une branche de la race turque, et que leur nom se trouve mentionné dans les plus anciennes chroniques de la Perse et de la Chine. Ils vécurent en guerre avec leurs voisins, aussi barbares et aussi indisciplinés qu’eux, jusqu’à l’époque où Tchingis-Khan, ce dernier grand représentant de la force matérielle qui avait vaincu la domination de Rome, réunit sous ses ordres les masses hétérogènes de l’Asie pour donner au monde civilisé un dernier moment d’effroi. Les Kazaks furent soldats dans l’armée de ce grand dévastateur ; à sa mort, ils tombèrent dans le lot d’un de ses fils. Mais une entreprise commune, inspirée et soutenue par l’énergique passion du pillage, pouvait seule maintenir sous une même domination des races ennemies et habituées depuis des siècles à s’entre-déchirer ; aussi leurs vieilles haines ne tardèrent pas à renaître avec leurs nationalités. Sous la conduite d’un chef nommé Arslane, les Kirghiz-Kazaks, alliés au sultan Baber, fondateur de l’empire du Grand-Mogol, acquirent dans les luttes intestines de l’Asie une certaine prépondérance qui fit bientôt place à une nullité tellement complète, qu’il y a dans leur histoire une véritable solution de continuité jusqu’à l’époque de leurs premières relations avec la Russie. L’existence d’une horde nomade peut être comparée au cours irrégulier d’un torrent qui se perd dans les sables à une faible distance des lieux où il roule avec le plus de fracas.

En 1573, Ivan-le-Terrible régnait à Moscou. Sollicité par les Strogonofs, dont le commerce avait su trouver dans les steppes un nouveau débouché à quelques-uns de ses produits, le czar voulut tenter d’entrer en rapport avec les Kirghiz-Kazaks, et, dans ce but, il envoya un ambassadeur à leur chef. Mais le khan de Sibérie, qui défendait alors les restes de son indépendance contre les agressions moscovites, empêcha, par un habile coup de main, le négociateur d’accomplir sa mission ; bien plus, il eut l’adresse de se faire un auxiliaire de ce même peuple que ses ennemis avaient désiré de gagner à leur cause. Malgré son courage et les secours du dehors, la Sibérie succomba, et le hasard de la guerre jeta dans les mains des Russes le neveu de Tevkel, khan des Kirghiz-Kazaks, de façon que les armes opérèrent entre ces deux nations un rapprochement cherché en vain par des voies plus paisibles. La lutte est maintenant commencée ; elle demeurera sourde et languissante pendant plus d’un siècle, mais nous verrons toujours la Russie poursuivre son œuvre avec cette habileté pleine de prudence et cette infatigable ténacité qui paraissent être les bases de sa politique et les causes principales de ses succès.