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PROGRÈS DE LA RUSSIE DANS L’ASIE CENTRLE.

semblance entre ces provinces lointaines et l’Europe du moyen-âge, il ne faut pas désespérer de les voir un jour développer aussi les germes de civilisation qu’elles portent dans leur sein.

Le khannat de Khôkhan est situé à l’est de la Boukharie. Les villes de Tachkend et de Khôkhan, ses deux capitales, sont vastes et commerçantes. Ce khannat, dont l’organisation intérieure ressemble beaucoup à celle de la Boukharie, lui est toutefois inférieur en étendue et en population. Ces deux pays voisins sont souvent en guerre. La puissance militaire y réside tout entière dans les mains des begs, vrais seigneurs féodaux, qu’un caprice ou qu’une subite ardeur de pillage suffit pour mettre aux prises. Pour parvenir aux échelles de la mer Caspienne, les négocians de Tachkend suivent la même voie que les Boukhares. Comme ces derniers, ils gagneraient beaucoup à la réunion de la Khivie à l’empire russe, et cette grande puissance trouverait elle-même alors, du côté du Khôkhan, un nouveau débouché à son commerce de Chine, qui se fait entièrement aujourd’hui par Kiakhta, sur les frontières de la Sibérie.

Ce commerce, du reste, a acquis une assez grande importance pour que nous en disions quelques mots ; ce ne sera point sortir de notre sujet, puisque là aussi la Russie se pose en rivale de l’Angleterre. L’effrayante distance de cinq mille huit cent sept verstes, c’est-à-dire de plus de quatorze cents de nos anciennes lieues, sépare Moscou de Kiakhta, et cependant les principaux négocians de la première de ces villes possèdent aussi des comptoirs dans la seconde. La grande expédition des marchandises a lieu dans les premiers jours du printemps ; une route desservie par la poste impériale la conduit jusqu’aux limites chinoises, en passant par les gouvernemens de Moscou, Wladimir, Nijnej-Novogorod, Kazan, Wiatka, Perme, Tobolsk, Kolivano et Koskressenske. Les marchés se font à la douane de Troitz-Kossavskaya pendant un temps fixé et sous les yeux des mandarins. Les Russes y apportent des tissus de coton et de laine, des pelleteries, des cuirs ouvrés et même des grains, qui manquent souvent dans le nord-ouest du grand empire ; les Chinois leur donnent en échange des soieries et du thé, dont la Russie commence à faire une grande consommation. En 1823, elle en avait importé 130,256 puds (le pud vaut 17 kilo. environ), pour une somme de 5,302,510 francs ; en 1837, elle en a acheté 213,063 puds pour la somme de 8,277,204 fr. Ce dernier chiffre ne représente que le prix d’achat acquitté sur les lieux mêmes ; le taux de la revente est toujours quatre ou cinq fois plus considérable. Outre les frais du voyage, les marchands de Moscou