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nement avide, jaloux de leur fortune, qu’il regarde comme sa proie, des déserts à traverser, des hordes nomades à éviter, rien ne les arrête ; ils luttent avec une ténacité inconcevable contre tous les ennemis, et chaque année dirigent leurs caravanes sur Boukhara et sur Astrakhan. Ils ont ainsi dans les mains tout le commerce de transit de la Russie avec l’Asie centrale. Sept jours d’une marche pénible les séparent de Boukhara ; pour franchir cette distance, ils se servent de chameaux originaires du pays et depuis long-temps habitués aux privations et aux fatigues. Ils font aussi flotter sur l’Oxus des radeaux qu’ils ne chargent de marchandises qu’à leur retour du Turkhestan. Ce pays, situé sur les confins du Caboul et de la Chine, abonde en objets d’exportation. On y trouve, entre autres choses, du coton filé, des étoffes de soie, des cachemires, des porcelaines chinoises et des peaux d’agneaux morts-nés, qui sont les plus recherchées de l’Orient. Khiva ne peut pas seule absorber toutes ces richesses, mais la Russie, dont en 1819 le czar faisait dire au khan Mohammed, dans le langage fleuri de la diplomatie asiatique : Je désire sincèrement que les relations de nos deux états soient liées d’une chaîne de roses immortelles et célébrées par le chant du rossignol ; la Russie offre à tous ces produits de luxe un écoulement avantageux. Les sartys font partir leurs caravanes pour Manghichlak sur la mer Caspienne, et à époque fixe ils y trouvent des navires russes qui les transportent à Astrakhan. De cette ville, qui s’accroît sans cesse, grace surtout à ses magnifiques établissemens de pêcherie, ils envoient leurs cargaisons à Nijnéj-Novogorod et à Moscou ; ou bien, ils rencontrent sur les lieux mêmes des facteurs arméniens tout prêts à leur acheter leurs marchandises ou à les leur échanger contre des velours, des draps légers, des torsades d’or et d’argent, du sucre, des ustensiles en cuivre et en fonte, et contre des objets de pacotille.

Ce commerce serait susceptible d’une grande extension, si la Russie parvenait, sinon à conquérir la province de Khiva, du moins à y faire prédominer son influence. Il serait facile alors d’ouvrir à travers les steppes des Turkomans, qui de la mer Caspienne à Ourghendj couvrent une étendue de huit cents verstes, une route protégée par plusieurs forts. On a même songé à lier par un canal l’Oxus à la mer Caspienne, où il se jetait autrefois, avant qu’un bouleversement dont les conjectures de la science peuvent seules déterminer l’époque, l’eût forcé à se creuser un nouveau lit. L’un ou l’autre de ces travaux une fois achevé, la mer Caspienne verrait renaître son ancienne activité, et la Russie, mise pour ainsi dire en contact avec le Turkhestan,