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comme une teinte lugubre sur ces lieux déjà si tristes. Heureusement un fleuve, le Syr-Daria, les traverse ; il répand quelque fraîcheur sur ses bords, et alimente un grand nombre de canaux d’irrigation qui fournissent aux champs voisins un peu de force végétative. Le Syr-Daria est le cours d’eau le plus considérable de la contrée ; il sort d’une branche de cette chaîne que, dans leur langage figuré, les Chinois appellent les Montagnes du Ciel, et tombe dans la mer d’Aral. Ce fleuve peut devenir d’une grande utilité commerciale. Navigable dans la plus vaste partie de son cours, il ne baigne aucune ville importante ; mais des ruines, notamment celles d’Otrar, où se termina la terrible carrière de Tamerlan, attestent l’ancienne activité de ses bords. Le Syr-Daria coule d’ailleurs à une distance fort rapprochée des villes de Khôkhan, de Turkhestan et de Tachkend, qui offrent à l’industrie russe des débouchés et des marchés d’échange.

La Russie a conçu le projet gigantesque d’unir par un canal la mer Caspienne à la mer d’Aral. De cette façon, le Syr-Daria deviendrait une artère magnifique par où s’écouleraient les richesses de l’Asie centrale et les divers produits de l’Europe. L’esprit peut à peine se figurer l’aspect nouveau que prendraient alors ces contrées perdues. Qu’était la Russie il y a deux cents ans, et qui pourrait prédire ce qu’elle sera dans deux siècles ? Au-delà du Syr-Daria, s’étend une plaine entrecoupée de lacs et de marais, et assez abondante en pâturages, où séjournait la horde kalmouk des Cara-Kalpaks, avant que des guerres avec les Zungars et les Kirghiz l’eussent contrainte à chercher un refuge sur les territoires de Boukhara et de Khiva.

Plus loin se trouve un prolongement de la chaîne des monts Altaï, qui forment la frontière méridionale de la Sibérie et se rattachent, par de nombreuses ramifications, aux montagnes du Thibet, du Caboul et de la Perse. Le khannat de Khôkban et la Boukharie, qui sont traversés par le Syr et l’Amou-Daria, occupent une longue vallée, et, en suivant le cours du second de ces grands fleuves, on rencontre le khannat de Khiva. Ces trois pays conservent les débris de la vieille civilisation asiatique ; là, si la force brutale règne encore, du moins elle n’a pas tout détruit. Mais dans la steppe l’industrie n’offre rien, absolument rien à observer ; il n’y a pas une ville, pas un village ; les campemens ne laissent dans le désert d’autres traces que des tombeaux. À Khôkhan, à Boukhara et à Khiva, le travail de l’homme reprend ses droits.

En 1839, un corps d’armée envoyé contre les Khiviens se trouva presque entièrement détruit par la rigueur des élémens avant d’avoir