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DE LA LITTÉRATURE DES OUVRIERS.

tion eût été irréprochable. Quand nous regrettons les invasions de l’Atelier dans la politique, notre pensée n’est pas de dérober aux regards des ouvriers le spectacle de la chose publique ; mais quel intérêt ont les travailleurs à ce qu’à la discussion de leurs affaires on associe des déclamations outrées sur les évènemens du jour, et des réminiscences révolutionnaires où les jacobins sont exaltés aux dépens des girondins ? Dans l’Atelier, il y a deux tendances, la tendance industrielle et la tendance politique : nous serions fâché que la seconde finît par étouffer la première. Ce n’est pas sous les inspirations d’un sombre fanatisme que les ouvriers parviendront à éclairer les questions et à convaincre les esprits. L’homme qui se sent libre et digne de le devenir de plus en plus ne parle pas à ses semblables la menace et l’injure à la bouche ; il a de la modération dans son langage, parce qu’il a de la fermeté dans le cœur. D’ailleurs, la discussion des problèmes industriels ne comporte pas les allures d’une polémique farouche. Dans les questions encore si obscures pour tous de l’organisation du travail, la passion n’est pas la lumière. L’Atelier a eu le courage de repousser le communisme, et le bon sens de se taire sur les Poésies sociales ; une idée juste et des sentimens honorables ont mis à ses rédacteurs la plume à la main ; qu’ils ne permettent pas à des exagérations politiques de dénaturer leur entreprise. Qu’ils travaillent pour eux, non pour d’autres.

Au surplus, quand on considère la vie rude et pénible qu’ont à mener les classes laborieuses, on demeure convaincu que, parmi les ouvriers, les hommes les plus remarquables par leur bon sens et leur activité ne sont pas ceux qui se hâtent de prendre une plume. Voyez dans les ateliers quels sont les hommes qui exercent sur leurs camarades l’influence la plus sérieuse et la plus légitime : ce ne sont pas ceux qui écrivent, mais ceux qui agissent. Ce sont ces travailleurs à l’ame aussi forte que le corps, qui trouvent toujours moyen d’ajouter quelques heures de plus à la tâche ordinaire, et dont l’expérience a toujours un bon avis à donner aux autres ouvriers, aux jeunes apprentis. Sans phrases, sans charlatanisme, ces hommes intelligens et modestes se trouvent naturellement les chefs de la classe ouvrière ; ce sont eux qui en connaissent l’esprit et les besoins, et qui pourraient le mieux éclairer sur les réformes nécessaires les publicistes et les gouvernans.

La division du travail, qui assigne aux uns l’action, aux autres la pensée, est donc toujours dans la nature des choses. S’il est incontestable que de nos jours le peuple ait un sentiment plus vif de