fois exprimés : ils ne sauront pas que sur les mêmes traces les maîtres de l’art ont passé ; ils ne soupçonneront même pas les difficultés innombrables que dans tous les genres l’artiste aujourd’hui trouve sur sa route. Il y a deux cents ans, le bon sens donnait ce conseil aux écrivains :
Soyez plutôt maçon, si c’est votre talent,
Ouvrier estimé dans un art nécessaire,
Qu’écrivain du commun et poète vulgaire.
Despréaux avait prévu les Poésies sociales. Et l’on dirait aujourd’hui aux ouvriers : Ne soyez plus maçons, quittez la truelle, déposez le rabot, abandonnez vos ateliers ! Pourquoi ? pour que ces malheureux, ainsi abusés, viennent s’exposer aux dédains de la foule et contribuent à dégrader l’art, qui n’est déjà que trop compromis. Les vrais intérêts des lettres ont donc tout à redouter de cette invasion de nouveaux producteurs sans originalité, sans mission, sans génie. Eux-mêmes, ces artisans qu’on déplace, qu’on veut pousser de l’échoppe au Parnasse, seront-ils plus heureux ? On ne sait pas tout ce que le rêve insensé d’une gloire impossible apporte de perturbation douloureuse dans l’organisation et la destinée d’un homme. Que de victimes obscures fait partout la manie des lettres ! Dans une ville de province vivait content un jeune cordonnier ; il soutenait sa mère et sa sœur en continuant l’état que lui avait légué son père, dont il parle ainsi dans ces vers manuscrits qu’on a mis sous nos yeux :
Mon père, pauvre cordonnier,
Avait le bon sens roturier :
De ses conseils je me rappelle.
Jeune, il me nomma Sans-Souci,
Et me dit : Pour chasser l’ennui,
Dès le matin
À ton joyeux refrain
Accorde, en battant la semelle.
Amis, depuis que j’ai goûté
De ses principes de gaieté,
Le plaisir m’est toujours fidèle.
Je vis heureux, je vis content ;
Un roi peut-il en dire autant ?
Dès le matin
À mon joyeux refrain
J’accorde en battant la semelle.