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DE LA LITTÉRATURE DES OUVRIERS.

nais la Vertu. De nos jours, tout a été soumis à une controverse incisive, les principes et les formes de l’ordre social, la religion, la royauté ; mais la critique devra s’arrêter silencieuse devant le compagnonage !

Ce qui ne contribue pas peu à inspirer à quelques écrivains prolétaires cette impatience de toute discussion, ce sont les adulations que leur adressent plusieurs personnes en se disant les organes de la démocratie. Elles traitent le peuple comme les courtisans traitent les rois ; tout ce qu’écrit le peuple est beau, sa prose est forte, sa poésie sublime. On dit qu’un jour Louis XIV eut la faiblesse de montrer à Boileau quelques vers que de sa main royale il avait crayonnés. « Sire, lui répondit l’ami de Racine, je suis plus convaincu que jamais que rien n’est impossible à votre majesté, car elle a voulu faire de mauvais vers, et elle en a fait de détestables. » Est-il beaucoup de démocrates qui auraient le courage de déclarer au peuple que sa souveraineté peut aussi aller jusque-là ?

Avant de jeter un coup d’œil sur les Poésies sociales des ouvriers qu’on nous offre comme le symptôme d’un mouvement notable, nous voudrions déterminer en peu de mots le point où en sont les lettres aujourd’hui. Depuis vingt-cinq ans, la production littéraire a été immense, et depuis dix ans surtout il y a eu dans l’enfantement des œuvres de l’esprit une surexcitation singulière. Sous la restauration, on a beaucoup étudié, et les talens se développaient avec une sorte de gravité lente, mais féconde. Avec la révolution de 1830, l’effervescence gagna les imaginations : dans les genres qui demandaient surtout plus d’invention que de science acquise, on s’emporta par d’aventureux élans. On accumula les drames, les romans, les poèmes lyriques et épiques : quelques années virent éclore ce qui jadis eût suffi à la consommation d’un siècle. À ce paroxisme ont succédé la fatigue et l’abattement : tous les esprits sont las, et beaucoup semblent épuisés. Heureux ceux qui ont gardé dans le fond de leur ame quelque source vive d’où pourra jaillir encore à l’heure marquée l’inspiration ! Au milieu de cette lassitude générale, les études sérieuses retiennent encore la meilleure part : l’histoire, la philosophie, la science politique, trouvent, dans les progrès qu’elles continuent à faire et dans l’estime où on les tient, la récompense de n’avoir pas abusé d’elles-mêmes.

Il y a donc dans le domaine de l’invention et de l’art engourdissement et stérilité, et les œuvres qui se produisent sont inférieures à celles qui les ont précédées. À coup sûr, l’impulsion nouvelle qui