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DE LA LITTÉRATURE DES OUVRIERS.

et nous pouvons lire aujourd’hui la poésie de Bourguignon la Fidélité, de Guépin l’Aimable et de Vendôme la Clé des Cœurs.

Le menuisier qui s’est fait l’Hérodote du compagnonnage raconte que, lorsqu’il communiqua son dessein de faire imprimer les chansons des frères et amis, les uns lui riaient au nez, les autres lui disaient qu’une telle chose n’avait jamais été faite et ne devait jamais se faire. C’étaient, convenons-en, des compagnons de bon sens. Ils comprenaient dans leur instinct tout ce qu’il y avait de vanité périlleuse à livrer le secret de leurs délassemens et de leurs joies à un monde qui les prime par l’éducation et les lumières. Quand le peuple trouve l’oubli de ses fatigues dans l’explosion d’une allégresse naïve, personne assurément ne songe à soumettre à une critique frondeuse les chants grossiers et simples dont il fait retentir les airs. Mais aussi qu’on n’ait pas pour lui des prétentions qu’il désavoue, et qu’on n’expose pas ce qui le divertit à une publicité solennelle. C’est bien au peuple qu’on peut appliquer ce que le duc de Saint-Simon disait de lui-même, « qu’il ne fut jamais un sujet académique. »

Le Livre du Compagnonage n’est pas seulement l’œuvre d’un historien ; le compagnon qui l’a publié a une ambition plus vaste, il s’annonce en réformateur. Avignonais la Vertu, c’est le surnom d’Agricol Perdiguier, voudrait faire des diverses sociétés du compagnonage une seule et grande association. Les compagnons menuisiers, qui se partagent en deux sociétés, jalouses l’une de l’autre, devraient n’en plus former qu’une. Ce qu’Avignonais la Vertu dit aux menuisiers, il le dit également aux tailleurs de pierre, aux charpentiers, aux serruriers. Il invite aussi à entrer dans le compagnonage régénéré les mécaniciens, les typographes, les tailleurs. « Que le compagnonage, dit-il, se grossisse, s’étende et se rende puissant ; qu’il soit l’école de la jeunesse et l’espoir des travailleurs ; cela se peut, si nous le voulons bien. » Et encore : « Ayant réuni les hommes d’un même état en un seul faisceau, il faut, je le répète, faire alliance entre tous les corps d’état ; on pourrait, à des époques fixes, et au moins trois ou quatre fois par an, avoir dans chaque ville une assemblée générale, une espèce de congrès dans lequel chaque société d’état différent se ferait représenter par un ou deux députés pris dans son sein. Ces représentans de l’industrie et du travail, réunis de la sorte, connaîtraient parfaitement les crises de tous les états et les misères de tous les individus qui les exercent, et porteraient à bien des maux des remèdes efficaces. Si un corps de métier souffre plus qu’aucun autre, le congrès s’en occupera, et saura sans violence