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nom d’Adolphe Boyer était inconnu. Il ne devait arriver à la célébrité d’un jour qu’à travers le suicide. Le livre de Boyer ne se vendit point, et l’auteur se vit dans l’impuissance de satisfaire aux engagemens qu’il avait souscrits pour jouir des honneurs de la publicité. Il se crut abandonné de tous et il s’abandonna lui-même ; il ne se sentit pas la force de rester dans un monde qu’il trouvait sourd à sa voix, et, avant de se donner la mort, il exprima cette pensée, que tout ouvrier qui aime la société et ses semblables doit finir comme lui. Voilà bien l’extravagance du désespoir. Pauvre insensé qui veut entraîner avec lui dans la mort ses compagnons et ses frères, qui dans son égoïsme les déshérite de la vie et de l’avenir ! Étrange réformateur qui, pour ne savoir pas supporter un premier revers, pense que le genre humain ne doit point lui survivre !

Le petit livre d’Adolphe Boyer n’est guère qu’une compilation de ses lectures. Quand il s’élève contre la concurrence illimitée, et veut substituer l’association à l’individualisme, il répète, il copie ce qui a été dit avant lui. La recomposition du conseil des prud’hommes, où il veut faire entrer par égales portions les délégués des fabricans et les représentans des travailleurs, serait une guerre organisée qui amènerait d’interminables conflits. Boyer, qui sans doute était démocrate, arrive à mettre l’industrie tout entière entre les mains du gouvernement ; puis, par une autre tendance contradictoire, il voudrait rattacher l’association des classes laborieuses à l’organisation du compagnonnage. L’incohérence des idées est peu rachetée par les qualités du style. Nous n’eussions pas demandé à l’auteur les habiles effets d’une plume exercée, mais nous avons cherché en vain une saillie originale, un trait individuel. Cependant les mots énergiques et simples ne sont pas rares dans les rangs populaires.

Le compagnonnage est la vie intime de certaines classes d’ouvriers. Jusqu’à présent il était resté dans le cercle obscur de ses habitudes et de ses mœurs exceptionnelles ; mais aujourd’hui on affiche pour lui de hautes prétentions, et le Livre du Compagnonnage s’étale au premier rang des publications démocratiques entre les ouvrages de M. de La Mennais et les pamphlets de M. de Cormenin. On appelle les regards du public sur les enfans de Salomon, les enfans de maître Jacques et les enfans du père Soubise ; on nous raconte l’histoire des gavots et des dévorans ; nous connaissons maintenant l’organisation intérieure de ces associations, la mère, le rouleur, les coteries et pays, le topage. Enfin les chansons du compagnonnage ne se contentent plus de la tradition orale ; elles passent dans la littérature écrite,