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luxe a envahi de nos jours les deux extrémités de la péninsule italique, Naples et Turin. À Naples, cette pompe est quelque peu théâtrale ; à Turin, elle est plus sérieuse. Cette ville tient en effet les clés de l’Italie du côté où ses portes ont besoin d’être le mieux fermées. Du haut des remparts, on aperçoit à l’horizon les neiges du Saint-Bernard, les hauteurs de Montenotte et de Millesimo, et la plaine de Marengo.

C’est à cette position frontière, et toujours menacée, que les Piémontais attribuent l’infériorité de leurs artistes comparés à ceux des autres états de l’Italie. Leurs princes, sentinelles avancées du Midi, ont toujours été trop occupés de défendre leur pays contre les invasions de l’étranger pour songer à ce qui pouvait l’orner. L’entretien d’armées considérables et de places fortes importantes épuisait leurs trésors. Si quelqu’un d’entre eux venait à encourager les arts, c’était dans de courtes périodes de repos, quand une trêve ou un traité de paix leur permettait de déposer l’épée. Dans un état républicain comme Athènes, Florence, ou la Hollande, les arts peuvent fleurir au milieu des troubles et en des temps de luttes et de guerres continuelles, chaque citoyen ne comptant que sur soi ou sur ses égaux. Dans une monarchie absolue, c’est bien différent. Les encouragemens et les récompenses découlent d’une seule main, de la main du souverain. Que le souverain soit distrait par la nécessité de veiller au salut de l’état, que sa main se ferme, le travail et l’encouragement manquent à la fois à l’artiste, et l’art dépérit et meurt. En revanche, sous un prince homme de goût et judicieusement magnifique, combien l’unité n’enfante-t-elle pas de merveilles ! Celui qui est fort de la force de la nation, riche de sa richesse, peut toujours de grandes choses. Il n’a qu’à vouloir et à savoir. Nous ne doutons pas que les princes piémontais n’aient souvent voulu, mais rarement ils ont su, et plus rarement encore ils ont pu.

La peinture a été cultivée de temps immémorial en Piémont, mais presque toujours par des peintres venus du dehors. Il n’y a jamais eu d’école piémontaise proprement dite, et même, à l’exception du mystique Gaudenzio Ferrari, le Piémont n’a jamais eu de peintre du premier ordre.

Les artistes de talent qui travaillaient pour les princes piémontais dans les courts intervalles de paix dont jouissait le pays, furent presque tous étrangers. Rarement ils entreprenaient la décoration d’un édifice, la peinture d’une coupole : c’eût été trop dispendieux ; le temps d’achever un ouvrage de longue haleine leur eût d’ailleurs