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nous met, j’espère, à l’abri de telles aberrations. Puissent donc tous ceux qui, aux divers degrés du pouvoir, ont mission de protéger les arts, comprendre combien il serait utile que tous ces encouragemens qu’on éparpille en petites sommes fussent concentrés sur un certain nombre de monumens dont on confierait la décoration tantôt à nos maîtres les plus habiles, tantôt à nos jeunes gens de plus haute espérance ! Et ce n’est pas seulement à Paris, c’est par tout le royaume qu’il faudrait en faire l’essai. N’y a-t-il pas en province des églises, des hôtels-de-ville, des tribunaux, dont les murailles pourraient se couvrir soit des scènes sacrées de la religion, soit des hauts faits de notre histoire ? Et ne serait-ce rien, pour enflammer une ame d’artiste, que l’honneur d’une telle mission et l’espoir de faire une œuvre qui devienne un jour pour toute une ville un sujet d’orgueil et d’illustration ?

Bientôt, il faut l’espérer, de nouveaux exemples, de nouveaux auxiliaires, viendront en aide à ces idées que bien des gens ont comme nous, mais qu’on n’ose réaliser qu’à demi ; parmi les hommes dont notre école s’honore à bon droit, il en est plusieurs qui, en ce moment même, préparent aussi des peintures monumentales, et qui, chacun dans son genre, feront voir la diversité des ressources que renferme cette manière de peindre. Peut-être enfin l’attente des amis de l’art ne sera-t-elle pas trompée, et l’auteur de la Stratonice, acceptant la belle mission qu’il a reçue, nous donnera-t-il, au Luxembourg, une digne sœur de l’Apothéose d’Homère.

Mais, sans attendre l’avenir, cette foule qui se porte à l’École des Beaux-Arts, la sensation qu’a produite ce brillant hémicycle, ne suffiront-elles pas pour ouvrir les yeux sur la nécessité d’agrandir la carrière ouverte à nos artistes et de combattre ainsi cette pente vers le petit et le mesquin, vrai fléau de l’état de société où nous sommes ? J’ai l’espoir que le succès de M. Delaroche servira puissamment à la propagation de ces idées ; mais, avant tout, je souhaite qu’il lui soit profitable à lui-même, c’est-à-dire à son talent et à sa gloire. Si donc il est quelque monument plus grand, plus imposant que cet amphithéâtre, et où l’art doive se mettre aux prises avec des difficultés encore plus sérieuses, je le lui souhaite, et il l’a trop bien conquis, ce me semble, pour qu’il ne lui soit pas accordé.


L. Vitet.