Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 28.djvu/954

Cette page a été validée par deux contributeurs.
950
REVUE DES DEUX MONDES.

dans cet esprit. Si quelques reproches du même genre peuvent être adressés aux figures de Lesueur, d’Orcagna, de Michel-Ange, et à quelques autres de moindre importance, en revanche, j’aperçois le Titien, Giorgione, Bellini, Ghiberti, Poussin, et je trouve en eux cet aspect grandiose, cette noblesse d’attitude et de pensée, en un mot cette hauteur de style qui n’accepte les détails individuels et biographiques que pour les dominer et les laisser seulement entrevoir.

Ce sont là, selon moi, les conditions sans lesquelles il n’est point de grande peinture, et par conséquent point de peinture monumentale. Ce que j’appelle grande peinture, c’est celle qui élève, épure, ennoblit tout ce qu’elle touche, et qui met en saillie le côté profond et sérieux des choses. Ce n’est pas à dire que pour atteindre à cette hauteur il faille enlever aux hommes ce qu’ils ont d’humain, et tomber dans les abstractions et les bas-reliefs coloriés ; non, partout où l’homme est en scène il faut que le sang circule et que le cœur fasse entendre ses battemens ; mais si la vie vient à prédominer, si l’idéal ne la gouverne pas, bientôt la pensée s’abaisse et le spectacle perd toute sa grandeur. C’est un certain mélange indéfinissable, un certain accord harmonieux de l’idéal et de la vie qui constitue ces créations que l’esprit humain enfante si rarement et qu’il est permis d’appeler des chefs-d’œuvre.

Nous l’avons déjà dit, quand M. Delaroche n’aurait d’autre mérite que d’avoir tourné les yeux vers ces hautes régions de l’art, d’en avoir fait le but de ses efforts, son exemple serait déjà un véritable bienfait. Il a osé rompre, je ne dis pas avec la peinture de genre, il s’en était déjà plus d’une fois affranchi, mais avec cette séduisante déception qu’on nomme le roman historique, et qui lui a valu tant de brillans succès. C’est l’histoire elle-même, l’histoire dans sa majestueuse austérité, qu’il a entrepris de faire parler. Une si grande tentative pouvait-elle s’accomplir complètement du premier coup ? Non sans doute : M. Delaroche tout le premier nous dirait qu’il n’a pas cru faire un ouvrage irréprochable, mais il lui est permis d’avoir conscience de l’immense progrès qui s’est opéré en lui, et de prétendre à s’élever encore plus haut.

Pour y parvenir, son premier soin, j’en suis sûr, sera de s’imposer une plus grande unité de style. Il est inévitable, dans une œuvre de transition, que l’artiste obéisse en quelque sorte à deux systèmes à la fois ; la méthode qu’il se fait n’a pas encore la force d’exclure celle qu’il abandonne ; à côté des essais se glissent les habitudes ; c’est un