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LA SALLE DES PRIX À L’ÉCOLE DES BEAUX-ARTS.

costume, ce manteau blanc et bleu de ciel me déroutent complètement. Ce n’est pas là le Raphaël que je connais, dont ma mémoire me conserve l’image. Je sais bien que vers la fin de sa vie il avait pris goût à une certaine recherche dans ses vêtemens, mais n’est-ce pas là une de ces circonstances dont il faut tenir peu de compte ? Lui-même n’en a-t-il pas ainsi jugé, car il a fait quelquefois son portrait, et jamais s’est-il représenté dans cet apparat théâtral ? M. Delaroche nous dira qu’un vêtement noir se serait mal ajusté avec les costumes environnans, et aurait fait un trou dans son tableau. J’ai toute confiance dans le savoir et dans le goût du célèbre artiste, mais peut-être les peintres sont-ils trop préoccupés de certaines lois qu’eux seuls ont promulguées, et qu’ils pourraient impunément se permettre d’enfreindre. Pour moi, je crois que, même en supposant qu’un vêtement trop foncé eût troublé certaines harmonies, mieux vaut encore risquer d’offenser les yeux que de causer à l’esprit une inquiétude ou un regret.

Que si au contraire ce n’est pas pour obéir aux exigences du coloris que le peintre a si richement habillé son Raphaël, si c’est en toute liberté, avec intention, et par exemple pour indiquer que ce grand génie s’élève au-dessus de ses rivaux comme un prince au-dessus de ses sujets, n’hésitons pas à le dire, une telle idée manquerait de justesse ; il y a plus, elle serait dangereuse. Se servir du costume comme moyen d’expression, lui prêter un langage, lui donner un rôle qui n’appartient qu’à l’homme lui-même, ne serait-ce pas matérialiser l’art ? C’est seulement par je ne sais quel feu secret jaillissant de ses yeux, par l’inspiration rayonnant de son front, que cette tête de Raphaël devrait effacer toutes les autres et prendre un air de domination et de souveraineté. Aussi, je l’avoue, j’éprouve quelque regret à trouver, au lieu du roi des peintres, ce jeune homme que les plaisirs, non moins que le travail, vont bientôt flétrir dans sa fleur. Oui, cette figure, souffrante, amaigrie, a peut-être été celle du grand artiste ; oui, les derniers éclairs d’où sortit la Transfiguration furent entremêlés de ces langueurs et de cette pâle tristesse ; mais est-ce là ce que nous venons voir ? Est-ce aux accidens de sa vie humaine qu’il convient de faire allusion dans ce séjour de gloire et d’immortalité ? N’est-ce pas au contraire la partie divine et immatérielle de ces nobles physionomies que l’art doit mettre en relief, tout en empruntant à leur individualité quelques traits caractéristiques pour les faire reconnaître.

Heureusement M. Delaroche n’a pas conçu tous ses personnages