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LA SALLE DES PRIX À L’ÉCOLE DES BEAUX-ARTS.

mais qui jamais ne s’étaient manifestés chez lui avec cet éclat incontestable. Il n’est vraiment pas possible qu’une action soit plus sagement conduite, plus clairement ordonnée. L’accumulation des personnages n’engendre pas la moindre confusion. Cette multitude de jambes et de bras qui s’entremêlent ne cause pas au spectateur le plus petit embarras, la plus légère inquiétude. Tout est aisé, simple, naturel, tout se lit et s’explique au premier coup d’œil ; et pourtant, pour distribuer ses plans, pour étager ses figures, le peintre n’a fait emploi d’aucun procédé d’école, d’aucun moyen de convention ; point d’effets de perspective, point d’ombres largement portées pour détacher les parties lumineuses ; il a fait saillir ses personnages en plein jour, il les a tous éclairés également, et pour ainsi dire par le même rayon de soleil ; en un mot, il n’est presque pas une difficulté qu’il n’ait voulu aborder de front, et dont il n’ait triomphé avec plus de bonheur encore que de hardiesse.

Que dira donc la critique ? car il faut bien qu’elle ait aussi sa part. Les ouvrages des plus grands génies ont eux-mêmes leur côté vulnérable, et personne n’a le privilége d’échapper à la commune loi.

Un des écueils du sujet, je ne parle pas encore du tableau, c’était la nécessité de faire un choix parmi tant de noms illustres que chaque siècle et chaque pays présentent à notre admiration. Pour l’antiquité, point d’embarras : lorsqu’on ne déifie que trois artistes et qu’on choisit de tels noms, qui pourrait se plaindre d’être oublié ? Mais pour les temps modernes, en élargissant le cadre, on le rend plus difficile à remplir. Recevoir dans cette noble assemblée tous les hommes qu’on proclame les premiers dans leur art, n’est-ce pas risquer de se mettre en querelle avec les amis de ceux qu’on n’admet pas ? C’est ici un livre d’or, un registre de noblesse ; l’oubli ressemble à une exclusion. Bien des gens, par exemple, demanderont à M. Delaroche comment il n’a pas trouvé place pour le Guide, pour le Guerchin, pour les Carraches. Quant à moi, je ne lui en veux nullement, bien que j’aie pour quelques tableaux de ces hommes habiles une très juste vénération ; je lui pardonne également de n’avoir pas admis Salvator Rosa, et je consens même, quoique avec plus de peine, à ne pas voir le Tintoretto ; mais j’aurais voulu que bon gré mal gré il fit entrer parmi les architectes Léon-Baptiste Alberti, dût-il même exclure cet Inigo Jonès, auquel je ne veux aucun mal, mais qui n’est là évidemment que par politesse pour l’Angleterre. Certes, si jamais homme a dû figurer parmi les représentans de la véritable architecture italienne, c’est-à-dire de cette pureté presque attique, de ce goût fin