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grés, ont un aspect moins sévère et semblent se rattacher encore, par quelques liens secrets, au monde des vivans.

L’une porte au ciel un regard rêveur : sur ses épaules, qu’enveloppe un étroit et chaste manteau, ses blonds cheveux retombent en nappes onduleuses ; une grace virginale se mêle dans ses traits à une tendre et suave langueur, et sur son front, où brille l’inspiration céleste, on aperçoit ce découragement mélancolique que nous inspire le sentiment de notre infirmité comparée à la grandeur de Dieu. Une palme à la main, ce serait une sainte ; mais ce modèle d’une église gothique nous trahit son secret. C’est le génie de l’art du moyen-âge, de ce sublime novateur qui trouva le chemin du beau sans autre guide que la foi.

Quel contraste entre cette figure et sa compagne ! Celle-ci est belle aussi, mais sans retenue, sans mesure, sans pudeur. Ses riches vêtemens retombent en désordre, sa brillante coiffure se dénoue et s’échappe au hasard ; courtisane audacieuse, passionnée, inconstante, c’est l’image de l’art moderne depuis son affranchissement des idées chrétiennes, avec ses phases de bons et de mauvais jours, avec ses beautés et ses excès. Des souvenirs au lieu de croyance, l’amour de la mode, le besoin du succès à tout prix, d’admirables instincts étouffés par l’esprit de système, des charmes éblouissans fardés par la coquetterie, voilà ce que respire toute sa personne.

Ces deux femmes sont comme le chaînon qui relie la partie antique et tout idéale du tableau avec sa partie moderne et presque vivante. Tournons en effet les yeux à droite et à gauche de ce muet aréopage : là plus de graves et immobiles figures ; c’est une foule qui se meut et qui parle ; étrange et brillant assemblage des costumes les plus variés, des figures les plus diversement caractérisées. Ces hommes-là ne sont pas séparés de nous par vingt siècles comme les divins maîtres de l’art antique ; le feu sacré qui les anima sur la terre ne doit pas avoir cessé de briller dans leurs yeux : on dirait qu’ils ont encore un pied dans ce monde, tant ils parlent avec plaisir, tant ils s’interrogent avec curiosité sur ce qu’ils y ont vu, sur ce qu’ils y ont fait.

Ils sont tous là sans façon, sans apparat, les uns debout, les autres assis sur un long banc de marbre en avant du portique. Entre eux point de hiérarchie de talent, point de distinction de pays ; le Florentin se confond avec le Français, le Flamand et l’Espagnol avec le Vénitien ; seulement, ce qui est bien naturel, les architectes cher-