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LA SALLE DES PRIX À L’ÉCOLE DES BEAUX-ARTS.

Le rêve de M. Delaroche avait été de faire ce premier essai sous les voûtes de la future église de la Madeleine. Inspiré par une pieuse et touchante légende, il avait rapidement ramassé les matériaux d’un si beau poème. Déjà tout était préparé, ses compositions étaient faites, il allait les transporter sur la pierre, lorsqu’il dut tout abandonner. Il se retira, non par vaine susceptibilité, mais par conviction d’artiste. Pour quiconque a le sentiment de l’art, la première condition de ce genre de peinture, c’est l’unité d’exécution. Dites à deux peintres de vous faire un tableau, donnez à celui-ci la moitié des figures, à celui-là l’autre moitié, et voyez ce que produira cet amalgame. Eh bien ! ici, le tableau, c’est le monument tout entier. Aucune de ces peintures qui le décorent ne forme un tout à elle seule ; ce ne sont que les fragmens, les parties d’un grand ensemble : or il faut qu’entre toutes ces parties il existe la même harmonie qu’entre les figures d’un seul et même tableau. Ce n’est pas là une théorie inventée à plaisir ; l’expérience en fait foi. À tous les âges de la grande peinture italienne, au XIVe siècle sous le Giotto, comme au XVIe sous Raphaël, à Padoue comme à Rome, à Assise comme à Florence, c’est toujours de la main ou sous la direction d’un seul homme qu’ont été créées ces grandes séries de peintures dont certains monumens nous présentent l’ensemble harmonieux. Quelle disparate au contraire quand les colosses d’un Michel-Ange viennent, comme dans la chapelle Sixtine, heurter les figures gracieuses et presque mignonnes d’un Pinturrichio ! Sans doute il est des lieux et des circonstances où de telles dissonances peuvent être tolérées, mais quand fut-il jamais plus grand besoin d’unité que pour tracer la vie de cette sainte qui sous tant d’aspects différens doit conserver toujours et la même nature et la même beauté ? Nous en jugerons bientôt. Certes on aura choisi des gens habiles, et pourtant il est presque impossible que de leur association il ne sorte pas la plus triste incohérence de couleur et de pensées.

Exilé de la Madeleine, M. Delaroche a trouvé dans cet hémicycle de l’École des Beaux-Arts un théâtre moins brillant, mais qui du moins pouvait être à lui sans partage. Non-seulement il était sûr qu’on y respecterait sa solitude, mais la lumière était plus vive, plus égale, l’élévation plus favorable et moins fatigante pour l’œil du spectateur. L’artiste, tout consolé, s’est donc mis à l’œuvre, et après quatre ans de travaux opiniâtres, cette grande page est aujourd’hui terminée.

Quel en est le sujet ? La destination du monument nous l’indique d’avance ; le programme était pour ainsi dire tout tracé. Nous sommes