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rait au délire, aux transports éperdus d’Électre reconnaissant le sien : « Ô chère lumière !… ô voix, est-ce bien toi qui arrives à mon oreille ?… » Mais, encore une fois, Oreste ne résiste pas, il n’y a pas lutte ; le sérieux antique va jusqu’au bout ; au lieu des nuances, on a le sublime et le sacré. Cela ne finit pas, pour tout dire, par un coup double et par un mariage.

Une réflexion consolante ressort toutefois : c’est donc ainsi que le talent vrai peut encore, par des retours imprévus, atteindre à quelques accens des anciens. Au moment où, par le sujet et par la manière, il a l’air de se ressouvenir le moins des modèles enseignés, tout d’un coup il les rejoint et les touche au vif sur un point, parce qu’ainsi qu’eux il a visé droit à la nature. Toutes les Électre de théâtre, les Oreste à la suite, les Clytemnestre de seconde et de troisième main (et combien n’y en a-t-il pas !), sont à mes yeux plus loin mille et mille fois de l’Électre première que cette fille des montagnes, cette petite sauvagesse qui ne sait que son Pater. Colomba est plus classique au vrai sens du mot : voilà ma conclusion.


Sainte-Beuve.