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HISTOIRE DIPLOMATIQUE DE LA QUESTION D’ORIENT.

contre la Russie ; en 1840, il faisait respecter la suprématie du sultan jusqu’au fond de l’Arabie et du Sennaar ; en 1841, il eût concouru à maintenir l’autorité de la Porte sur les rayas révoltés.

La faiblesse de la Turquie tient à une double cause, à la décadence de la civilisation musulmane, et à la disproportion qui existe, sur le sol même où les Turcs sont campés, entre la race conquérante et la race des vaincus. Le déclin de l’islamisme est un mal sans remède ; toute religion qui résiste au progrès doit périr. Quant au petit nombre des Turcs, comparé au nombre des chrétiens qui peuplent l’empire ottoman, cette infériorité numérique serait un fait moins grave, s’ils avaient conservé l’organisation d’une forte aristocratie ; mais ils ont détruit l’ordre ancien, sans fonder un ordre nouveau, et leur complète stérilité n’est pas moins évidente que leur faiblesse. Dans cet état de choses, l’empire ne vit en réalité que de la protection des puissances chrétiennes, et ces puissances, pour le protéger, sont obligées de fermer l’oreille aux plaintes des populations chrétiennes de la Turquie, qui, sentant naître leurs forces et revendiquant leurs droits, aspirent à s’émanciper. La diplomatie européenne pourra-t-elle prolonger cette situation ? La clameur publique fait tôt ou tard violence aux cabinets. Déjà il a été impossible d’assister de sang-froid aux cruautés commises par Tahir-Pacha dans l’île de Candie. Que serait-ce maintenant si une révolte éclatait dans la Macédoine ou dans la Thessalie ? La lutte est désormais en Turquie entre les musulmans et les chrétiens ; ceux-ci ont l’Europe pour arrière-garde, et, quelque chose qu’il en résulte, leur destinée est de triompher. Voilà les éventualités auxquelles le traité de juillet n’a pas pourvu.

On est tenté de féliciter les populations chrétiennes de cet oubli, quand on voit à quels malheurs sont exposés les habitans de la Syrie, depuis que les Anglais y ont arboré de nouveau la bannière du sultan. Aux violences et aux exactions des troupes turques a succédé la guerre civile, rendue plus implacable par la différence des races et des religions. L’autorité est nulle. L’impôt ne rentre pas. Les routes sont infestées par les Bédouins. Dans les villes, les chrétiens et les juifs voient leur existence et leur fortune perpétuellement menacées. Les montagnards n’obéissent plus à la Porte ; mais à quoi leur sert une indépendance qui ne les met pas à l’abri du pillage de leurs églises et du massacre de leurs enfans ?

Voici d’abord sur les excès des troupes turques un témoignage que l’on ne récusera pas ; c’est une note des consuls européens à Beyrouth, adressée au séraskier, le 11 février 1841.