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HISTOIRE DIPLOMATIQUE DE LA QUESTION D’ORIENT.

Palmerston, qu’il n’y avait pas de gouvernement qui donnât moins d’inquiétude à ses adversaires avoués comme à ses ennemis cachés, que le gouvernement français.

La révolution de juillet 1830 avait dissous la ligue européenne, et pendant dix ans l’Europe s’est partagée entre les états constitutionnels et les monarchies absolues. Le droit divin était d’un côté et la liberté de l’autre. La force morale balançait la puissance du nombre. L’avenir nous appartenait. Le traité de juillet 1840 a détruit cet équilibre encore mal assis. Les principes ne partagent plus l’Europe, ou plutôt, par le fait même d’une alliance entre la Russie et l’Angleterre, le principe de liberté s’est trouvé désarmé, et vaincu. Nous sommes restés seuls pour le représenter et pour le défendre, et par cela même que ce grand principe était en péril, la société a dû s’alarmer, s’émouvoir, se préparer au conflit.

Un changement aussi profond ne peut pas s’opérer dans le monde sans que chacun ait sa part des conséquences. Les cabinets ont l’air de penser que la révolution de juillet a été seule atteinte, et que d’autres que la France n’en ont pas souffert. C’est là une erreur grossière. Une rupture entre la France et l’Angleterre, entre deux nations qui avaient si largement influé l’une sur l’autre, et qui marchaient à la tête des peuples civilisés, doit ébranler jusque dans ses fondemens l’édifice européen. Dès ce moment, il n’y a plus de sécurité pour personne ; d’un jour à l’autre, les ambitions peuvent déborder : l’Europe ne peut plus se livrer à ces longues pensées du progrès social ni aux travaux durables de l’industrie. Les questions de principes, les intérêts territoriaux, les affinités de races et d’idées, les traités même, tout est remis en question. La paix n’est plus qu’une trêve. La première étincelle allumera un vaste incendie.

Pour prélude des conséquences qu’il devait porter, le traité de Londres a renversé trois ministères. En France, le ministère de M. Thiers, ministère d’opposition, ainsi que M. Thiers l’a dit lui-même, a été immolé à l’Europe ; en Angleterre, le ministère Melbourne a perdu la majorité au milieu de ses succès, laissant après lui des embarras financiers qui ne sont pas liquidés ; à Constantinople, Reschid-Pacha, le promoteur de la réforme, a été disgracié, comme l’instrument des giaours ; M. de Metternich lui-même eût été fort compromis, si l’on pouvait concevoir le gouvernement autrichien en dehors de M. de Metternich, et si l’Allemagne ne le considérait comme un véritable maire du palais. Mais ce qui montre bien que le traité de juillet a